Quand Lé Aubin évoque sa sortie du Conservatoire d’art dramatique de Québec en 2015, il s’exclame : « J’étais un bébé ! » Émanant d’un comédien qui soufflera bientôt ses 28 bougies, cette déclaration peut surprendre. Mais il a traversé une période de grands changements au cours des six dernières années. Tellement qu’aujourd’hui, l’acteur ne s’identifie plus comme une femme, mais comme une personne non binaire. Et depuis septembre, il incarne un jeune homme trans dans Toute la vie.

Chaque mardi soir sur ICI Télé, Lé Aubin campe Lucas Arditti, adolescent officiellement prénommé Lisa, qui tombe « enceint » alors qu’il entreprend un processus de changement de sexe. Le mois dernier, plus de 1 100 000 téléspectateurs ont assisté à son entrée à l’école Marie-Labrecque, établissement qui accueille des filles de 12 à 20 ans désirant poursuivre leur grossesse ou ayant accouché.

Cette semaine, le public rencontrera ses parents, joués par Sophie Paradis et Mathieu Baron, et comprendra du même coup pourquoi Lucas devait quitter la maison familiale.

PHOTO MARLÈNE GÉLINEAU-PAYETTE, FOURNIE PAR ICI TÉLÉ

Marie-Ève Beauregard (Laura) et Lé Aubin (Lucas) dans Toute la vie

« Lucas, c’est un personnage multidimensionnel, souligne Lé Aubin. C’est quelqu’un qui a probablement fait beaucoup d’introspection, mais qui a aussi accumulé beaucoup de colère, beaucoup de frustrations. Il est fatigué de devoir constamment se justifier. »

Ce n’est qu’un début

Originaire de Montréal, Lé Aubin a déménagé à Québec en 2012 pour y suivre une formation en interprétation. Depuis ce temps, il multiplie les allers-retours entre les deux villes. Nous l’avons rencontré alors qu’il passait par Montréal, au lendemain d’une journée de tournage de Toute la vie.

En entrevue au parc Villeray, le comédien s’est livré avec beaucoup de générosité — et d’éloquence — sur une foule de sujets, dont l’importance de montrer la diversité au petit écran.

Aubin applaudit l’arrivée d’un personnage comme Lucas dans une série populaire comme Toute la vie, écrite par Danielle Trottier (Unité 9). Mais la partie est loin d’être gagnée.

« Je pense qu’on est sur la bonne voie. On met les efforts. Je sens qu’il y a beaucoup de bonne volonté, beaucoup de bienveillance, mais je pense aussi que c’est des petits pas. On ne peut pas s’asseoir là-dessus et dire : “Voilà, c’est fait ! Nous avons représenté la diversité à la télévision.” Tout n’est pas réglé. »

Lé Aubin croit d’ailleurs qu’en 2021, on doit recruter des acteurs queers pour défendre des personnages queers, histoire d’arrêter de perpétuer certains clichés.

Il y a plusieurs communautés marginalisées qui s’acharnent à dire qu’elles se sentent mal représentées dans les médias. Je pense qu’il faut leur laisser une place pour qu’elles s’expriment et qu’elles donnent leur perspective. Ça nous permettrait de faire du vrai chemin.

Lé Aubin

« Être mal représenté, c’est violent parfois, ajoute l’acteur. Je pense aux personnes trans qui, pendant des années, chaque fois qu’elles se voyaient à l’écran, c’était soit pour faire rire d’elles, soit pour faire vomir l’autre qui apprend qu’elles sont trans. Je ne dis pas qu’une personne cisgenre qui joue une personne trans va nécessairement perpétuer ces clichés, mais il est important qu’on brise ce pattern et qu’on leur fasse une vraie place, parce qu’elles ont trop longtemps été marginalisées et invisibilisées. Une fois qu’il y aura un équilibre, on pourra réfléchir à la chose différemment. Mais pour l’instant, il y a un besoin de voir et d’entendre ces personnes. »

L’importance des modèles

Lé Aubin comprend l’importance de représenter la diversité à l’écran, qu’elle soit culturelle, sexuelle ou autre. Son parcours en témoigne. La première fois qu’il s’est véritablement senti interpelé en regardant la télévision, c’est en 2016, en découvrant la série américaine Shameless, dans laquelle l’acteur trans Elliot Fletcher interprétait le personnage de Trevor, travailleur social au centre LGBTQ+ local.

PHOTO FOURNIE PAR SHOWTIME

Elliot Fletcher (Trevor) et Cameron Monaghan (Ian) dans Shameless

« C’est la première fois que j’ai fait : “Ah oui, d’accord… Il y a tout ça qui est possible…” Pour moi, ça a ouvert des portes, ça a défait des barrières. »

« Avant, je voyais la vie de manière très binaire, poursuit Aubin. J’avais été socialisé comme une femme. Dans ma tête, je n’avais pas encore amorcé la déconstruction du genre. Pour moi, une transition, ça voulait dire devenir un homme dans tout ce qu’on se fait comme idée d’un homme. Voir Elliot Fletcher, un humain charismatique, quelqu’un qui me ressemble, ç’a été l’élément déclencheur. Ça m’a fait découvrir plein d’autres artistes trans et non binaires. Ça m’a fait réaliser qu’il y avait tout un spectre, que j’avais le droit d’être ce que je voulais, me situer où j’en avais envie, et laisser les choses être fluides. »

Au théâtre

Acteur, auteur, metteur en scène adjoint et professeur, Lé Aubin est également le cofondateur, avec Gabriel Cloutier-Tremblay, son allié artistique depuis leur sortie du Conservatoire, d’une compagnie de théâtre baptisée Kill ta peur. Il essaie de produire et d’écrire des textes ayant une forme de portée politique, histoire d’utiliser sa plateforme d’une bonne façon.

Au printemps, il foulera les planches du Théâtre La Bordée à Québec dans une version actualisée de Made in Beautiful (La belle province), mise en scène par Olivier Arteau.

En attendant la première, on peut s’attendre à ce que son personnage dans Toute la vie continue d’alimenter les conversations, chose qu’il perçoit d’un bon œil.

« La fiction, c’est écrit pour qu’on s’attache aux personnages, pour qu’on vive plein d’émotions à travers eux, résume Lé Aubin. Si beaucoup de gens s’attachent au personnage de Lucas, ça peut créer de l’empathie. Et ça peut juste aider. Parce que quand tu n’as jamais connu de personnes trans ou non binaires, quand tu n’entends jamais parler d’elles, quand tu n’es pas exposé à cette réalité, c’est facile de dire qu’il n’y en a pas, de problèmes. Je peux difficilement blâmer les gens qui pensent comme ça. Mais quand tu sais qu’elles existent, tu ne peux plus les ignorer. »

ICI Télé diffuse Toute la vie les mardis à 20 h.