La salle Bourgie recevait lundi soir Igor Levit, un des pianistes les plus fascinants des 20 dernières années. Un récital principalement composé de transcriptions orchestrales qui a atteint des sommets insoupçonnés.

Né en 1987, le pianiste russe ayant grandi en Allemagne est notamment à l’origine d’une intégrale discographique des sonates de Beethoven qui, si elle ne fait pas nécessairement l’unanimité, reste l’une des plus originales des dernières années avec celle de Jonathan Biss.

Le pianiste aux 175 000 abonnés sur X s’est également signalé par son engagement politique, pour lequel il s’est vu décerner certains prix, comme pour ses multiples prestations diffusées depuis son domicile berlinois dans les premiers temps de la pandémie de COVID-19.

La salle était presque comble pour l’accueillir quatre jours après le Carnegie Hall de New York et le lendemain du Koerner Hall de Toronto dans un programme quasi identique, puisque le pianiste a changé la Suite 1922 de Hindemith pour les Klavierstücke, op. 119, de Brahms, conservant l’Adagio de la Symphonie no 10 de Mahler et la Symphonie no 3 en mi bémol majeur, op. 55, de Beethoven, respectivement transcrits par le pianiste écossais Ronald Stevenson (1928-2015) et Franz Liszt.

Les Brahms n’étaient pas la seule exclusivité montréalaise. Indisposé par une blessure au pied, Igor Levit a été contraint de jouer sans chaussures. À l’entendre jouer avec autant d’imagination, on aurait plutôt pensé qu’il venait de chausser des bottes de sept lieues.

Le concert a commencé sous les meilleurs augures avec l’un des plus beaux Intermezzo, op. 119, no 1 de Brahms que nous n’avons jamais eu la chance d’entendre, peut-être avec celui, au disque, de Rudolf Serkin.

Un Intermezzo d’une concentration à couper le souffle et d’une lenteur amoureuse (un vrai Adagio !). Le reste du cycle était à l’avenant, quoique la Rhapsodie finale aurait pu être plus « risoluto », comme le demande la partition.

Le sommet de la soirée a cependant été la transcription du premier mouvement de la Symphonie no 10 de Mahler, le seul extrait de la symphonie à peu près achevé par le compositeur autrichien avant sa mort prématurée.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Le pianiste russe Igor Levit

La transcription de Stevenson, enregistrée par le musicien chez Sony, n’est pas nécessairement très pianistique, puisque les longues valeurs de notes, soutenues à l’orchestre (c’est un Adagio en plus), ne sont pas comblées par des figurations plus idiomatiques. Cela dit, c’est un défaut que la densité du jeu de Levit, qui joue avec partition, a tôt fait de nous faire oublier.

Car les alliages sonores savamment élaborés par le pianiste nous transportent dans un climat impossible à avoir à l’orchestre. En cela, c’est du pur piano. Jouant tout au long avec un lyrisme éperdu, Levit déploie un véritable sens narratif.

Après la pause, c’était au tour de Beethoven, dont on aurait peut-être préféré entendre une « vraie » sonate, puisque c’est la spécialité de Levit, plutôt qu’une transcription de symphonie. L’Eroica, c’est sans conteste de l’immense musique, mais un tel piano-orchestre a tôt fait de saturer l’espace sonore de l’intime salle Bourgie (ce n’est pas Carnegie Hall) et d’étourdir le public. Et ce n’est pas que le pianiste, qui se distingue par une sonorité pleine mais jamais forcée, joue trop fort.

Celui-ci se tire plutôt bien de ce tour de force (c’est une vacherie à jouer), même si on le sent parfois tendu dans les premier et troisième mouvements. Très intéressante Marche funèbre, déroulée dans une lenteur sépulcrale.

Malgré les applaudissements nourris, Igor Levit, qui a tout donné dans Beethoven, n’a pas donné de rappel. On le lui pardonnera volontiers.

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