Avec des perspectives de récession reportées et même des scénarios de reprise dans lesquels une récession serait évitée, la performance du marché boursier est pour bien des investisseurs plus que convenable depuis le début de l’année. Le moment est-il bien choisi pour augmenter la prise de risque en déployant des liquidités ? Voici deux avis différents.

De la prudence

LA PRESSE

Daniel Ouellet est gestionnaire de portefeuille au Groupe Ouellet Bolduc, affilié à Desjardins.

Daniel Ouellet
Gestionnaire de portefeuille au Groupe Ouellet Bolduc, associé à Desjardins Gestion de patrimoine. Il supervise un actif sous gestion de 1,7 milliard.

Je me considère dans le camp des réalistes. Quand on ne veut pas avoir l’air trop pessimiste, c’est ce qu’on fait. C’est le temps d’être prudent actuellement. Ça ne coûtera pas cher d’être prudent à court terme. Il y a tellement de bruit dans l’actualité que c’est difficile de s’y retrouver. Nous sommes aujourd’hui sous-pondérés en actions par rapport à nos cibles et surpondérés en encaisse ou en obligations.

Le premier point à retenir est lié à la perception des investisseurs par rapport à la résilience de l’économie. Ça prend 18 mois avant que les hausses de taux se fassent sentir avec des effets concrets dans l’économie. Puisque la première hausse de taux est venue en mars 2022, ça nous amène en septembre 2023. C’est donc normal qu’il n’y ait pas vraiment encore de mauvaises surprises dans les statistiques sur la consommation et l’emploi.

On a l’impression que l’économie fait preuve de résilience alors qu’on sait que ça prend toujours du temps avant que les hausses de taux mordent dans l’économie. L’économie va ralentir dans les prochains mois. Nous travaillons présentement avec la probabilité qu’il y ait un ralentissement qu’on appellera une récession.

Le second point à soulever ou à retenir est qu’on a tendance à trouver que les résultats des entreprises pour le deuxième trimestre de l’année ont été excellents parce qu’on entend régulièrement que 70 % des entreprises ont surpassé les attentes. Ce n’est que du bruit, car les bénéfices des entreprises composant l’indice S&P 500 sont en réalité légèrement inférieurs à ce qui était prévu par les experts en début d’année. Ça veut dire que la hausse du marché boursier s’explique à 100 % par un rebond du multiple d’évaluation. On est parti de 17 fois les profits pour le S&P 500 à 20 fois les profits prévus pour 2023. Les résultats ne sont pas mauvais, mais pas aussi bons qu’on pourrait le penser. Les entreprises sont rendues des spécialistes pour gérer et adapter les attentes du marché au fil des semaines et des mois.

Finalement, la prime de risque des actions par rapport au taux 10 ans des obligations du gouvernement américain vient de toucher son plus bas niveau depuis 2004. Il est donc de moins en moins « payant » de parier sur des actions, comparativement à une obligation sûre. Quand on dit que le marché se négocie avec un multiple d’évaluation de 20 fois les profits, on se trouve dans le haut du corridor d’évaluation. Le marché boursier est loin d’être une aubaine en ce moment dans un contexte où on croit que l’économie va éventuellement ralentir. Le marché obligataire offre donc aujourd’hui une meilleure perspective de performance. La bonne nouvelle est que tu peux placer des liquidités à des taux qui rapportent jusqu’à 5 %. C’est pour ça que ça ne coûte pas cher d’être prudent à court terme.

De l’audace

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Cimon Plante est gestionnaire de portefeuille au Groupe Pagé Plante, affilié à la Financière Banque Nationale.

Cimon Plante Gestionnaire de portefeuille au Groupe Pagé Plante, affilié à la Financière Banque Nationale. Il est responsable d’un actif sous gestion de 1,3 milliard.

Le rebond du marché est reçu avec un certain scepticisme autant par les investisseurs institutionnels que par les petits investisseurs. Le sentiment est donc à la base davantage pessimiste que positif en ce moment. On ne peut donc pas dire que le marché traverse une période où les investisseurs sont euphoriques et qu’ils ont peur de rater le bateau. C’est plutôt l’inverse. Et les meilleurs gains qui peuvent être réalisés dans le marché se concrétisent lorsqu’une situation dramatique ou sérieuse devient moins grave qu’on l’aurait anticipé.

La hausse des taux est significative et les facteurs de risque avancés par les différents analystes et observateurs sont tous à prendre en considération. Il se peut toutefois que le marché soit démesuré dans sa réaction. Je n’ignore pas les enjeux, mais la réaction des marchés envers certains secteurs est possiblement exagérée.

Le cas extrême est assurément celui des fiducies immobilières. Personne ne veut investir dans cette industrie en raison de la hausse des taux d’intérêt et de la montée du télétravail. Le résultat est une chute significative de valeur boursière. Pourtant, les opérateurs des fiducies immobilières n’ont jamais été aussi proactifs depuis 10 ans.

L’indice S&P 500 a monté cette année, mais c’est une poignée de titres technologiques seulement qui est réellement responsable de cette progression. Il y a plusieurs secteurs d’activités qui n’ont pas participé au rebond boursier cette année, et c’est ce qui m’intéresse le plus.

Si on embarque dans le marché aujourd’hui avec un horizon de placement d’au moins trois à cinq ans, il y a des secteurs qui, malgré la hausse des taux d’intérêt, vont attirer des capitaux de façon massive. Une thématique que j’aime particulièrement est celle de la décarbonisation. Il y a plusieurs façons de se positionner.

Prenons par exemple le budget américain de 400 milliards déployé pour la décarbonisation. Il créera une demande importante en matériaux. On n’a qu’à penser au cuivre.

L’autre thème que j’aime beaucoup est celui de l’« onshoring », qui s’explique par un désir de ramener la fabrication en Amérique du Nord. Il y a de gros projets en cours, et des entreprises vont nécessairement augmenter leur chiffre d’affaires d’ici 2026.

J’aime bien aussi les thématiques de la productivité agricole et de l’énergie. Le marché boursier fait du surplace malgré qu’on y trouve plusieurs entreprises nichées qui touchent à ces quatre grandes thématiques. Je pense notamment à des entreprises comme Teck Resources, Ag Growth, West Fraser Timber, Chemtrade, Northland Power, ARC Resources et même un titre comme celui du Canadien Pacifique qui risque de profiter du désir des entreprises souhaitant diminuer leur empreinte carbone en délaissant le transport routier à la faveur du transport ferroviaire.