Après avoir subi une forte dévaluation à cause de la remontée rapide des taux d’intérêt, le marché des obligations est-il redevenu fréquentable par les investisseurs à l’affût de placements à rendement réputé modeste à court terme, mais plus sûr et prévisible à long terme ?

Oui, mais à certaines conditions, indiquent des professionnels du placement consultés par La Presse alors que la volatilité persiste sur les marchés.

« Je vois les rebonds [des marchés] comme une occasion de rendre l’allocation d’actifs en portefeuille encore plus défensive, mais avec un œil attentif sur les obligations qui sont de plus en plus attrayantes », indique Martin Lefebvre, chef des placements et stratège des marchés financiers à la Banque Nationale, dans sa plus récente mise à jour de stratégie.

« Depuis quelques années, nos clients-investisseurs ne voulaient pas placer leur argent dans des CPG [certificats de placement garanti] ou des obligations à seulement 2 % d’intérêt. Mais là, on voit l’effet inverse », rapporte Marc L’Écuyer, gestionnaire de portefeuille principal à la firme indépendante Cote 100, lors d’un entretien avec La Presse.

« Le marché des titres obligataires est devenu beaucoup plus attrayant avec des taux d’intérêt rehaussés aux environs de 5 % pour des obligations à échéance 10 ans provenant d’émetteurs de haute qualité financière. »

Mais du point de vue d’Émilie Croteau, conseillère associée en gestion de patrimoine au Groupe Bernier, qui est associé à la Financière Banque Nationale, les investisseurs demeurent méfiants envers des placements en obligations.

La perception du caractère “défensif” des placements obligataires en portefeuille a été pour le moins bousculée depuis un an.

Émilie Croteau, conseillère en gestion de patrimoine

« Cela dit, les obligations ont encore la cote parmi nos clients-investisseurs. Pour le moment, nous leur conseillons d’y aller prudemment et avec parcimonie en attendant des signaux plus précis d’un plafonnement des hausses de taux d’intérêt par les banques centrales. »

Banques centrales

À ce propos, d’ailleurs, difficile de voir clair dans une conjoncture d’inflation et de hausse de taux que même les économistes du secteur bancaire ont encore du mal à cerner de manière plus précise.

« Les pressions inflationnistes demeurent fortes aux États-Unis », constate Francis Généreux, économiste principal chez Desjardins, dans un récent billet de conjoncture économique.

« Certains facteurs inflationnistes s’apaisent comme on le voit du côté des biens. Mais d’autres facteurs inflationnistes, notamment dans les services, demeurent ancrés plus profondément au sein de l’économie. Cela rend encore plus difficile le défi de la Fed qui veut ramener l’inflation vers sa cible [environ 2 % à 3 % par an]. Elle devra donc continuer à resserrer drastiquement sa politique monétaire. »

À la Banque Royale, l’économiste Claire Fan est aussi d’avis que « d’autres hausses de taux d’intérêt de la part de la Fed seront nécessaires pour maîtriser pleinement les pressions inflationnistes sur les prix ».

Par conséquent, Claire Fan dit s’attendre à « une hausse supplémentaire de 75 points de base [0,75 %] de taux cible lors de la prochaine décision de politique monétaire de la Fed en novembre. Je m’attends à ce que la fourchette cible du taux d’intérêt des fonds fédéraux aux États-Unis [US Fed Funds] atteigne 4,5 % à 4,75 % au début de 2023. »

Se préparer

En attendant que les politiques monétaires de taux d’intérêt se stabilisent parmi les banques centrales, comment se préparer à réinvestir dans les obligations ?

À la Financière Banque Nationale, la conseillère Émilie Croteau fait part de deux approches privilégiées en fonction du profil type des investisseurs.

« Notre clientèle d’investisseurs plus fortunés va davantage par des achats directs de titres obligataires à prix et à taux devenus plus avantageux, et qu’elle a l’intention de garder en portefeuille jusqu’à leur échéance, résume Mme Croteau.

« Pour les investisseurs aux moyens limités, les fonds négociés en Bourse [FNB] et spécialisés dans le marché obligataire sont une option intéressante pour accéder à des titres plus diversifiés en fonction des critères et des objectifs de placement. »

À la firme de placements Cote 100, Marc L’Écuyer tient à rappeler le constat d’une « différence fondamentale » entre ces deux types de placements dans le marché obligataire.

Les obligations en placement direct ont une date d’échéance et de remboursement de capital qui est connue des investisseurs, qui peuvent alors les sélectionner en fonction de leur préférence de “durée” en portefeuille.

Marc L’Écuyer, gestionnaire de portefeuille

« Dans le cas des fonds d’investissement et des FNB du marché obligataire, il n’y a pas de telle date d’échéance, mais plutôt un “roulement” des obligations en portefeuille en fonction de la cible de durée moyenne selon le type de gestion de chaque fonds. »

Cette absence d’échéance des fonds du marché obligataire se traduit par la plus grande volatilité de la valeur de leurs parts, au gré de l’humeur des marchés financiers et des décisions de politique monétaire des banques centrales.

Exemples

Ces temps-ci, Marc L’Écuyer dit suggérer aux clients de Cote 100 de centrer leurs placements directs en obligations vers deux types de titres à long terme : les obligations à taux rehaussés qui sont émises par de grandes entreprises de haute qualité financière, ainsi que les obligations émises par des municipalités d’importance au Québec.

« Relativement méconnues, mais néanmoins très sûres, ces obligations municipales procurent une prime de taux d’intérêt de l’ordre de 1,4 % sur le taux des obligations du gouvernement canadien. C’est quand même un rendement intéressant à long terme pour un placement obligataire avec un très faible niveau de risque », indique Marc L’Écuyer.