(Londres) Le dollar a lancé vendredi un nouvel assaut contre l’euro et la livre, qui s’est approchée du plus bas niveau de son histoire après la présentation, au Royaume-Uni, de mesures budgétaires jugées très coûteuses par le marché.

La livre est descendue jusqu’à 1,0863 dollar pour la première fois depuis 1985, non loin du record absolu enregistré cette année-là, soit 1,0520 dollar. La devise britannique a perdu plus de 7 % en dix jours, un mouvement d’une ampleur très rare sur le marché des changes.

Le nouveau gouvernement britannique de Liz Truss a dévoilé vendredi une série de mesures de relance budgétaire, qui prévoient notamment la prise en charge d’une partie de la facture d’énergie des ménages et le renoncement à une série de hausses d’impôts.

L’ensemble devrait contraindre le Royaume-Uni à emprunter 72 milliards de livres supplémentaires sur les marchés, ce qui inquiète les opérateurs.

« Entre le Brexit, le retard de la Banque d’Angleterre pour remonter ses taux et maintenant la politique budgétaire, je pense que le Royaume-Uni restera dans l’Histoire comme une des pires gestions macroéconomiques d’un grand pays depuis longtemps », a accusé l’ancien secrétaire américain au Trésor, Larry Summers, qui voit potentiellement la livre atteindre la parité avec le dollar.

« La livre sterling est en danger », a mis en garde George Saravelos, analyste chez Deutsche Bank, qui note que la devise chute alors même que les taux d’emprunt de la dette britannique augmentent, « ce qui est très rare dans une économie développée ».

« Nous nous inquiétons de voir la confiance des investisseurs dans le Royaume-Uni s’éroder rapidement », ajoute-t-il.

« La probabilité d’un resserrement monétaire plus agressif » de la Banque d’Angleterre (BoE) « s’est élevée, avec les taux » britanniques, qui ont pris plus d’un demi-point en deux jours pour l’emprunt à 10 ans, au plus haut depuis début 2011, a commenté Craig Erlam, d’Oanda.

« Vers la récession »

La situation est telle que les cambistes évoquent désormais l’hypothèse d’une réunion d’urgence de la BoE, avec à la clef une hausse de taux anticipée, citée par Erik Nelson, de Wells Fargo.

« Cela enverrait le mauvais message aux marchés », met en garde Christopher Vecchio, de DailyFX, car ces réunions non prévues « signifient que la situation est très tendue, dramatique. »

Si elle a été particulièrement malmenée, la livre sterling n’a pas été la seule à souffrir vendredi. L’euro est tombé à un nouveau plancher depuis 20 ans, à 0,9681 dollar pour un euro.

La monnaie unique est de plus en plus mal positionnée face au billet vert, car « les inquiétudes s’accroissent » quant à la trajectoire économique du Vieux Continent, a souligné Joe Manimbo, de Convera.

L’indice PMI Flash de S&P Global a mis en évidence, vendredi, un nouveau recul de l’activité économique en zone euro en septembre, à son plus bas niveau depuis 20 mois. Pour Joe Manimbo, c’est « un nouveau pas vers la récession ».

L’Europe pâtit de la comparaison avec l’économie des États-Unis, qui demeure vigoureuse, et avec la banque centrale américaine (Fed), qui a encore monté d’un cran la pression contre l’inflation mercredi.

Les mouvements brutaux de vendredi « rappellent ce qui s’est passé au début de la pandémie en 2020, lorsque le monde paniquait à l’idée d’une récession mondiale », considère Christopher Vecchio.

À l’époque, la dislocation des marchés avait été telle que la Fed était intervenue massivement pour les stabiliser. Mais cette fois, prévient l’analyste, elle n’a pas intérêt à agir.

« La Fed voit le dollar fort comme une bénédiction », fait-il valoir. « Dans une certaine mesure, cela aide à protéger l’économie (américaine) contre les pressions inflationnistes. »

Quant à une intervention coordonnée entre plusieurs pays sur le marché des changes, « nous sommes entrés dans une ère de la dé-mondialisation, des intérêts concurrents, dans laquelle la volonté politique de faire quelque chose ensemble a grandement diminué », selon Christopher Vecchio.