Consommateurs, producteurs agricoles, pays en voie de développement… Les répercussions de la guerre en Ukraine sur l’alimentation se feront sentir sur tous les plans. Le Canada ne sera pas à l’abri. Entrevue avec la ministre fédérale de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire, Marie-Claude Bibeau.

(Ottawa) « Mon cœur va d’abord pour le monde agricole en Ukraine, d’autant que quand j’étais ministre du Développement international, j’y suis allée, confie d’entrée de jeu la ministre Marie-Claude Bibeau. Je les ai rencontrés [les travailleurs] et vraiment, pour eux, c’est dramatique. Il n’y a pas de mots pour qualifier une guerre qui est tellement injustifiée. »

Il y a 14 jours, la Russie envahissait l’Ukraine. Les deux pays sont de grands exportateurs de blé et de maïs. Le drapeau ukrainien avec sa bande bleue et sa bande jaune symbolise d’ailleurs le ciel et les champs tapissés de blé.

L’agence des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture prévoyait, entre le 1er mars et le 30 juin, des exportations de 6 millions de tonnes de blé et de 16 millions de tonnes de maïs en provenance de l’Ukraine sur les marchés internationaux. La Russie devait exporter 8 millions de tonnes de blé et 2,5 millions de tonnes de maïs. Ces prévisions, bien que diffusées la semaine dernière, avaient été calculées avant la guerre.

PHOTO BLAIR GABLE, ARCHIVES REUTERS

Marie-Claude Bibeau, ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire

L’Ukraine ne peut plus exporter en ce moment, de toute évidence. Toutes les chaînes d’approvisionnement sont complètement à l’arrêt, le port n’est plus fonctionnel, donc ça enlève sur le marché mondial un très, très important producteur de denrées, notamment de grains, de céréales, de blé et d’huile de tournesol, entre autres.

Marie-Claude Bibeau, ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire

« Ça va paraître sur les marchés », ajoute-t-elle.

Le cours du blé à la Bourse de Chicago a grimpé de plus de 60 % depuis, passant de 7,78 $ US en début d’année à 12,73 $ US à la fermeture des marchés mardi.

Le prix du panier d’épicerie, qui a déjà bondi depuis le début de la pandémie, augmentera donc encore. Le rapport annuel sur le prix des aliments produits par des chercheurs de quatre universités canadiennes – Université Dalhousie, Université de Guelph, Université de la Saskatchewan et Université de la Colombie-Britannique – anticipait une augmentation de 5 % à 7 % pour l’année 2022. Ces prévisions ont été publiées trois mois avant le début de la guerre en Ukraine.

« On a eu de grandes sécheresses, donc nos réserves ne sont pas très élevées non plus, fait remarquer Mme Bibeau. C’est sûr que ça va créer un manque de certaines denrées et quand on parle d’une diminution de l’offre, inévitablement, ça augmente le prix. »

Le blé canadien risque de se vendre plus cher en raison de la diminution de l’offre, mais aussi parce que les coûts de production monteront en flèche. Et l’engrais généralement importé de la Russie risque de se faire rare, « ce qui risque aussi de réduire la production de la prochaine saison en plus d’augmenter les coûts ».

Elle ne ferme pas la porte à une aide pour les agriculteurs. Pour ce qui est de la hausse du panier d’épicerie, les gens devront se rabattre sur les allocations déjà versées par le gouvernement comme l’Allocation canadienne pour enfants ou l’Allocation pour les travailleurs.

Sécurité alimentaire

L’autre enjeu soulevé par cette guerre est celui de la sécurité alimentaire. Le Fonds international de développement agricole des Nations unies s’est inquiété la semaine dernière de la faim causée par la baisse de l’approvisionnement mondial de blé, de maïs et d’huile de tournesol causé par la guerre en Ukraine. La région de la mer Noire exporte « au moins 12 % des calories alimentaires échangées dans le monde », selon l’agence onusienne.

Au Canada, je n’ai pas d’inquiétudes. Il y aura peut-être un peu moins de diversité sur certains produits, mais on va toujours trouver de quoi manger.

Marie-Claude Bibeau, ministre fédérale de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire

La situation sera tout autre pour les pays d’Afrique et du Moyen-Orient, dont une part de l’approvisionnement provient de l’Ukraine. « Ça aussi, c’est un enjeu très, très préoccupant », souligne celle qui a dirigé le ministère du Développement international durant près de quatre ans.

Depuis sa nomination à l’Agriculture en 2019, les défis à relever s’accumulent. « Quand ce n’est pas un enjeu commercial, c’est une sécheresse, un incendie de forêt, une inondation, une maladie de la pomme de terre, une maladie de la volaille, énumère-t-elle. Ce ne sont que des défis en agriculture. Les producteurs ont toute mon admiration. »

En savoir plus
  • 18,9 millions
    Quantité de tonnes métriques de blé produit par le Canada en 2021
    Source : Agriculture et agroalimentaire Canada
    10,4
    Quantité, en millions de kilogrammes, d’huile de tournesol importée d’Ukraine en 2021
    Source : Agriculture et agroalimentaire Canada