Après l'Allemagne, le Japon et les Pays-Bas, entre autres, le Royaume-Uni vient de privatiser sa poste, l'emblématique Royal Mail, dont les origines remontent à 1516. L'opération permettra-t-elle au plus vieux service postal du monde de se redresser de façon durable? Deuxième partie d'une série de trois sur les services postaux.

Vendre la Royal Mail. Même Margaret Thatcher avait refusé d'aller jusque-là, affirmant «ne pas être prête à privatiser la tête de la reine», en référence aux timbres-poste arborant le visage d'Élisabeth II. Mais en ces temps d'austérité budgétaire, la coalition au pouvoir à Londres a jugé que le moment était venu de confier la vénérable institution au secteur privé.

L'entrée en Bourse a été un succès retentissant: l'action de la Royal Mail a gagné plus de 36% à sa première journée de cotation, vendredi dernier. La progression s'est poursuivie au début de la semaine, de sorte que la valeur boursière de l'entreprise atteint déjà les 4,8 milliards de livres (7,9 milliards de dollars), 45% de plus que le prix de départ établi par Londres en se basant sur les recommandations de grandes banques d'affaires.

«C'est le plus grand moment de fierté de ma carrière», s'est exclamée celle qui dirige la Royal Mail depuis juillet 2010, la Terre-Neuvienne Moya Greene. Première femme et première étrangère à occuper cette fonction, elle avait auparavant été PDG de Postes Canada et vice-présidente chez Bombardier.

La Royal Mail «bradée»?

La forte appréciation de l'action de la Royal Mail a néanmoins suscité une vive controverse, l'opposition travailliste accusant le gouvernement dirigé par le conservateur David Cameron d'avoir "bradé" la Royal Mail au bénéfice des grands investisseurs.

En fait, selon plusieurs analystes financiers, Londres aurait facilement pu toucher 500 millions de livres (825 millions de dollars) de plus que les 2 milliards de livres (3,3 milliards de dollars) obtenus en fixant un prix de départ plus élevé. Or, le gouvernement voulait éviter à tout prix un fiasco comme celui de l'action de Facebook, qui avait reculé lors de son entrée en Bourse, l'an dernier. Les quelque 850 000Britanniques devenus actionnaires de la Royal Mail la semaine dernière n'auraient probablement pas apprécié.

Plusieurs voix se sont tout de même élevées pour s'opposer à cette privatisation, la plus importante menée au Royaume-Uni depuis celles décrétées dans les années 80 par les gouvernements de Mme Thatcher et de John Major. Les British Telecom, British Gas, British Rail et autres British Airways avaient alors été dénationalisées.

Signe du caractère délicat du dossier, quatre députés conservateurs ont exprimé leurs réserves publiquement. Ils s'inquiètent notamment d'une diminution des services dans les régions rurales.

John Allan, président de la Federation of Small Businesses, craint que la privatisation se traduise par des hausses de tarifs et des réductions de service. «Cela nuirait à la capacité concurrentielle des PME, notamment celles qui font du commerce électronique», dit-il.

Il reste que, dans la population en général, la privatisation de la Royal Mail, dont on parle depuis des années, ne soulève pas vraiment les passions. La moitié des répondants à un sondage commandé l'été dernier par le Bow Group, un groupe de réflexion proche des conservateurs, ne savaient pas que l'institution était sur le point d'être vendue. Par contre, les deux tiers de ceux qui étaient au courant étaient contre. Voilà qui contraste avec l'appui majoritaire des députés de la Chambre des communes.

«C'est un exemple parfait du Parlement qui se parle à lui-même», déplore Ben Harris-Quinney, président du Bow Group, qui décrie la vente de la Royal Mail. Il rappelle que la privatisation des chemins de fer britanniques a été un échec.

Restructuration

L'opération est d'autant plus controversée que le gouvernement a tout fait pour rendre la Royal Mail plus attrayante aux yeux des investisseurs. Il a notamment pris à sa charge le déficit actuariel de 10 milliards de livres (16,5 milliards de dollars) du régime de retraite des employés et réduit de 1 milliard de livres (1,7 milliard de dollars) la dette de l'institution. Il a aussi autorisé une hausse de 30% du prix des timbres en 2012.

Londres a aussi séparé de la Royal Mail le réseau des 11 780 bureaux de poste pour apaiser les nombreux Britanniques qui appréhendaient une nouvelle vague de fermetures. Cette portion du service postal, qui demeurera publique, serait déficitaire sans les subventions de l'État.

Les sommes que le gouvernement a injectées dans la Royal Mail ces dernières années sont donc considérables compte tenu des 2 milliards de livres qu'il a tirés de la vente de 70% de l'institution.

«Le rendement financier ne semble pas très intéressant, mais le gouvernement vous dira qu'il est essentiel d'avoir un service postal efficace et que la meilleure façon d'y parvenir, c'est de permettre à la Royal Mail d'avoir accès à des capitaux privés», affirme John Glen, professeur à la Cranfield School of Management.

Sous la houlette de Mme Greene, la Royal Mail a accéléré sa «transformation». En fait, depuis 2007, l'entreprise a investi 2,8 milliards de livres (4,7 milliards de dollars) à ce titre, la moitié pour acheter de nouveaux équipements et réaménager ses locaux. La Royal Mail a notamment installé près de 600 machines qui placent les lettres dans le bon ordre en fonction des itinéraires des facteurs. De nombreux emplois ont été supprimés: plus de 50 000 au cours des 10 dernières années.

Financièrement, la restructuration a porté ses fruits: après plusieurs années de pertes, la Royal Mail a renoué avec la rentabilité en 2012. Cet accomplissement est d'autant plus impressionnant que l'entreprise est obligée, en vertu de la loi, de maintenir la livraison du courrier six jours par semaine, et ce, malgré la baisse importante de la demande.

Une étude commandée par la Royal Mail à la firme comptable PricewaterhouseCoopers (PwC) relève que les volumes de lettres reculent au Royaume-Uni depuis le sommet historique enregistré en 2004. Après s'être chiffrée à 2,6% par année de 2005 à 2008, la baisse s'est accélérée, dépassant maintenant 5% par année. Par contre, les livraisons de colis progressent de 4% par année, conséquence de la popularité croissante du magasinage en ligne.

Notant qu'une bonne partie de la conversion aux communications électroniques a été faite et que les irréductibles du papier n'abandonneront pas facilement leurs habitudes, PwC prédit que le déclin du courrier ralentira graduellement au cours des prochaines années. De quoi donner confiance aux nouveaux actionnaires de la Royal Mail.