La suspension de la vente à découvert de certains titres financiers en Europe pourrait calmer la nervosité en Bourse à court terme, estiment des spécialistes joints hier. Mais d'autres font valoir que cette mesure exceptionnelle n'a jamais donné de résultats la dernière fois qu'elle a été testée, pendant la crise financière de 2008.

En empêchant les investisseurs de parier sur une chute des marchés, va-t-on effectivement prévenir une chute des marchés? C'est en tout cas ce qu'espèrent la France, l'Italie, l'Espagne et la Belgique, qui ont annoncé jeudi qu'elles suspendent les ventes à découvert de certains titres financiers.

Une vente à découvert consiste à emprunter une action et à la vendre sur-le-champ dans l'espoir que son cours baisse. L'investisseur qui parie sur une dévaluation rachète le titre plus tard et empoche la différence de prix.

La suspension de ce type de transaction touche essentiellement les actions des banques européennes, qui ont subi une raclée en Bourse cette semaine. Leurs titres ont fondu sur la rumeur que l'agence de notation Moody's serait sur le point de priver la France de sa note AAA. La panique a aussi été alimentée par la perspective d'ennuis majeurs à la Société Générale, l'une des principales banques de l'Hexagone. Les deux rumeurs ont été démenties, mais le mal était fait.

«Lorsqu'il y a de la nervosité sur les marchés, les ventes à découvert peuvent peut-être produire de plus grandes amplitudes de variation de prix», souligne Jean Roy, professeur de finance à HEC Montréal.

«À court terme, la suspension des ventes à découvert peut avoir un certain impact, ça peut limiter un peu les mouvements», convient Mathieu D'Anjou, économiste principal au Mouvement Desjardins.

Il reste que la mesure a été décriée par plusieurs observateurs du milieu financier. À commencer par les fonds spéculatifs (hedge funds), qui misent beaucoup sur les fluctuations des marchés dans leur stratégie d'investissement.

«L'expérience passée démontre que le bannissement des ventes à découvert ne prévient pas les chutes des marchés et, au contraire, exacerbe la volatilité», a indiqué Andrew Baker, patron de l'Alternative Investment Management Association (AIMA), qui représente les fonds spéculatifs.

En septembre 2008, quelques jours après la faillite de Lehman Brothers, la Securities and Exchange Commission américaine (SEC) a décrété une suspension des ventes à découvert sur les titres de 800 banques et institutions financières aux États-Unis. La plupart des experts conviennent que cette mesure exceptionnelle n'a fait que retarder la débâcle financière qui a suivi.

«Le bannissement des ventes à découvert trahit le désespoir, a d'ailleurs indiqué au New York Times Kenneth S. Rogoff, professeur d'économie à Harvard. C'est cela, leur plan pour régler la crise de la dette souveraine en Europe? Ça ne leur achètera pas beaucoup de temps.»

La crise en Europe, soutient-il, va bien au-delà du plongeon boursier observé dans la dernière semaine. Selon lui, c'est l'état général des banques qui est en cause, car plusieurs sont très exposées aux ennuis financiers de pays comme la Grèce et l'Italie. En détenant des milliards en obligations de ces pays, elles risquent de subir de lourdes pertes si les conditions de remboursement devaient être réajustées.

«S'il y a un problème plus fondamental, observe Mathieu D'Anjou, du Mouvement Desjardins, c'est certain que le bannissement des ventes à découvert ne le réglera pas.»