Inquiets de la réforme de la santé, des membres de la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) ont envoyé des lettres à leurs établissements pour faire part des criants besoins de main-d’œuvre et de ressources qui les empêchent, selon eux, de bien faire leur travail. Et ce, au moment où la FMSQ s’engage dans un bras de fer avec le ministre de la Santé, Christian Dubé, concernant sa réforme.

Cette série de lettres fait partie d’une campagne appelée « Objectif soigner », lancée en janvier dernier par la FMSQ. Le rapport final a été envoyé aux membres de la Fédération vendredi. La Presse en a obtenu une copie.

« Ça fait 30 ans que je suis à l’hôpital, et je n’ai jamais vu le réseau dans cet état-là », souligne en entrevue le DNorman Laurin, spécialisé en médecine nucléaire, qui a participé à l’exercice. « Chaque chose qu’on tente de faire, c’est comme Les douze travaux d’Astérix, ajoute-t-il. C’est la maison qui rend fou. »

« L’inquiétude des médecins spécialistes véhiculée par vos 319 lettres est préoccupante et met en lumière le délabrement du système de santé québécois », écrit aussi, en ouverture du rapport, le DVincent Oliva, président de la FMSQ.

Cette situation est inacceptable. Elle compromet l’accès aux soins pour le patient, en plus de placer les médecins dans une situation souvent intenable relativement à leurs obligations professionnelles et déontologiques.

Le DVincent Oliva, président de la Fédération des médecins spécialistes du Québec, en ouverture du rapport

Cette campagne est née après le dépôt en mars 2022 du plan de la réforme de la santé. Ce plan « a fait réagir de nombreux médecins spécialistes », peut-on lire dans le rapport.

Les médecins reprochent notamment à la réforme Dubé de les écarter des lieux de pouvoir décisionnels. Cette dernière vient aussi serrer la vis aux spécialistes qui seront soumis, à l’instar des omnipraticiens, à des « activités médicales particulières » comme prendre en charge plus de patients et couvrir des quarts de garde défavorables.

Un manque d’outils et de personnel

Dans leurs lettres, les médecins ont soulevé directement auprès de leurs directions d’établissement des enjeux qui les empêchent de pratiquer, et ce, au-delà de leur propre disponibilité.

À Trois-Rivières, par exemple, où le DLaurin pratique, la pénurie de technologues pour faire fonctionner les équipements de médecine nucléaire est « grave », souligne-t-il.

On était rendus à 7 technologues sur 16, soit presque en rupture de service. On a atteint le fond du baril il y a quelques mois.

Le DNorman Laurin, spécialisé en médecine nucléaire

Or, l’hôpital a acheté il y a deux ans une caméra qui « permettrait de faire 30 % à 50 % plus de patients par technologue », affirme le médecin spécialiste. Deux ans plus tard, la nouvelle caméra n’a toujours pas été livrée et installée. ​​« Il n’y a toujours, à ma connaissance, aucun plan pour l’installer. Et ça tourne autour de problèmes de ressources humaines à la direction des services techniques », lance-t-il, découragé.

La réponse à la lettre qu’il a cosignée dans le cadre de la campagne était « laconique » et d’une « platitude incroyable », estime-t-il. Selon le rapport de la campagne, les réponses des établissements, quand elles sont arrivées, faisaient allusion en majorité à la pénurie de main-d’œuvre et de ressources pour expliquer les difficultés soulevées par les médecins.

Les médecins spécialistes du Québec dépendent de ressources humaines (infirmières, technologues, etc.) et matérielles (salles d’opération, équipement, etc.) pour bien faire leur travail, détaille aussi la FMSQ.

« Nos membres sont grandement mobilisés afin d’offrir les meilleurs soins possibles à leurs patients, a indiqué le DOliva dans une déclaration écrite à La Presse. Cependant, le manque de ressources les limite grandement […]. C’est pourquoi la Fédération les a soutenus dans leur démarche pour améliorer le réseau et proposer de nombreuses solutions constructives afin de répondre aux besoins des patients. »