Un comité faisant la promotion du soutien à domicile du CISSS de Lanaudière suscite de vives inquiétudes et des frustrations chez des employés de l’organisation. Plusieurs dénoncent le fait que des patients soient renvoyés à domicile, malgré les recommandations contraires des professionnels de la santé.

Le comité « Chez soi avant tout » a été mis en place graduellement à partir de 2018. Il est composé d’une vingtaine de gestionnaires et de quelques professionnels de la santé, qui se réunissent quotidiennement pour favoriser le retour à domicile des patients.

« Quand le comité a été mis en place, on trouvait que c’était une bonne idée », lance Julien*, professionnel de la santé du CISSS de Lanaudière. Il a rapidement déchanté. Dans environ 10 % des cas, ses recommandations ont été renversées par les membres du comité. Et ce, sans qu’il obtienne d’explications.

« On n’est pas contre le fait que les gens puissent bénéficier de réadaptation à la maison, qu’ils puissent vivre le plus longtemps possible à leur domicile. Ce qu’on dénonce, c’est le retour à domicile précoce qui n’est pas centré sur le besoin des usagers et qui contrevient aux opinions cliniques des professionnels », lance Steve Garceau, représentant national pour l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS).

« Ça devient très lourd »

Julien a récemment pris en charge une personne âgée qui s’était fracturé la hanche. « C’est un monsieur autonome qui voulait récupérer rapidement et ne voulait pas retourner chez lui », se remémore-t-il.

Après avoir analysé son dossier, le professionnel a suggéré que son patient soit envoyé en réadaptation. Le comité « Chez soi avant tout » a plutôt opté pour un retour à domicile avec des services de soutien. « À long terme, il aurait probablement bénéficié davantage d’une réadaptation de deux ou trois semaines avant de rentrer chez lui sans aucun service », estime-t-il.

S’il souhaite contester la décision, Julien doit s’engager dans un lourd processus administratif. « Il faut qu’on fasse des démarches par-dessus la tête. Ça devient très lourd », témoigne-t-il.

Deux autres professionnels de la santé ont confié à La Presse avoir eu des problèmes similaires avec le comité. Lorsque ces employés suggèrent d’orienter un patient vers la réadaptation ou un hébergement public, le comité leur demande régulièrement de procéder à de nouvelles évaluations pour confirmer leur décision.

« On trouve ça ridicule. Même si on arrive à prouver une deuxième fois qu’un retour à domicile n’est pas possible, le comité va nous sortir des solutions pour être sûr que le patient y retourne. Si un retour à domicile avec le CLSC n’est vraiment pas possible, ils vont peut-être se plier et parler de relocalisation », dit l’une d’entre elles, qui préfère taire son nom par crainte de représailles.

Un comité prometteur, dit la direction

Le président-directeur général adjoint du CISSS Lanaudière, Philippe Éthier, admet que « quelques personnes demeurent insatisfaites » du comité, mais soutient que la majorité des équipes cliniques participe bien au projet.

Il n’est pas préoccupé par le renversement des recommandations par les membres du comité. « Neuf fois sur dix, on fait assez confiance [aux professionnels de la santé] pour ne pas remettre en question ce qu’ils ont suggéré. C’est quand même bien », avance-t-il.

M. Éthier affirme d’ailleurs que le comité a engendré une réduction significative du nombre de patients en attente d’un centre de réadaptation ou d’hébergement. En 2015, le CISSS de Lanaudière comptait environ 70 patients en attente. Aujourd’hui, ce chiffre est compris entre 15 et 20 usagers, soutient-il.

« C’est très prometteur. Il y a beaucoup de gain pour les usagers. Ils attendent moins, passent moins de temps à l’hôpital et vivent moins d’effets délétères de l’hôpital, mais c’est sûr que ça demande une transformation », soutient le PDG.

Quant à la conseillère-cadre aux trajectoires cliniques et projets spéciaux, Marylène Ricard, elle soutient que les bénéfices de la récupération à domicile ont été démontrés en recherche. « La personne récupère plus vite si elle est dans son milieu », explique-t-elle.

De multiples signalements

Selon le syndicat, toutefois, le comité représente toujours une grande perte de temps pour les employés. « Lorsqu’une équipe médicale s’entend pour dire que le retour à domicile n’est malheureusement plus possible pour un patient, on doit quand même absolument aller vers le comité Chez soi avant tout », illustre la vice-présidente au bureau local de l’APTS du CISSS de Lanaudière, Valérie Lepage.

La situation crée une frustration et un sentiment d’impuissance pour le personnel, qui voit ses compétences et son expertise remises en cause, selon elle.

Dans les dernières années, le syndicat affirme avoir soulevé à plusieurs reprises ces problèmes auprès des cadres, sans aucun changement significatif. « On a été conciliants, on a fait des comités, des tables de travail avec l’employeur, les problématiques ont été nommées à de multiples reprises », martèle le représentant syndical Steve Garceau.

Questionné à ce sujet, le PDG adjoint du CISSS soutient que des améliorations ont bel et bien été apportées ces dernières semaines à la suite des rencontres avec le personnel. Il mentionne entre autres une réduction considérable des procédures administratives et des formulaires à remplir.

*Le prénom a été modifié, afin de conserver sa confidentialité.