Une famille qui participe au programme gouvernemental visant à recruter des infirmières et infirmiers à l’étranger peine à joindre les deux bouts depuis son arrivée au Québec en février dernier. Après avoir passé deux mois sans logement, le ménage devra s’endetter de dizaines de milliers de dollars pour la naissance de l’enfant qu’il attend.

« Le logement, l’assurance maladie, mon suivi de grossesse : on ne savait pas d’avance qu’on allait rencontrer tous ces problèmes. Sinon, je ne l’aurais pas accompagné [au Québec] », confie Sarah*, rencontrée à l’hôpital Honoré-Mercier, à Saint-Hyacinthe.

Son mari fait partie d’une cohorte de 28 infirmiers et infirmières venus d’Afrique qui ont commencé en mars une formation d’un an au cégep de Saint-Hyacinthe pour parfaire leurs connaissances avant d’être embauchés au CISSS de la Montérégie-Est.

Ces candidats sont arrivés au Québec en vertu du projet de « reconnaissance des compétences » annoncé par le gouvernement Legault en 2022 et visant, à terme, à recruter à l’étranger 1000 infirmières et infirmiers.

« C’est mon mari qui a décidé de participer au programme. Pour lui, c’était un rêve, pour changer de mode de vie et améliorer ses compétences », raconte Sarah. Puisque le gouvernement invite les candidats à s’établir au Québec avec leur famille, elle a quitté son emploi d’infirmière au Maroc pour accompagner son mari.

Mais enceinte de 30 semaines, la jeune femme n’est pas admissible au régime d’assurance maladie du Québec et n’a pas accès aux assurances privées. Elle doit donc payer de sa poche ses soins : prises de sang, échographies, accouchement.

« C’est inhumain »

La situation bouleverse la Dre Sandrine Dionne, cheffe du service d’obstétrique-gynécologie à l’hôpital Honoré-Mercier. « On déracine des professionnels de leur pays pour qu’ils viennent aider notre système de santé et ils n’ont aucune couverture et se retrouvent sous le seuil de la pauvreté. C’est inhumain », s’indigne-t-elle.

Les coûts d’un accouchement sans assurance au Québec se situent généralement entre 15 000 $ et 25 000 $, indique la Dre Dionne, responsable du suivi de grossesse de Sarah.

Les participants au programme gouvernemental devaient souscrire une assurance privée à leur arrivée au Québec, mais Sarah n’était admissible à aucune d’entre elles. « J’ai tenté avec presque toutes les assurances privées, mais personne ne veut prendre en charge une femme enceinte », dit-elle.

Elle ne peut pas non plus retourner accoucher au Maroc, puisqu’elle n’est plus assurée. « Quand j’ai quitté mon poste, j’ai perdu le droit à l’assurance maladie », dit-elle.

Appelé à réagir, le ministère de la Santé et des Services sociaux soutient que les participants au projet sont bien informés de leur obligation face à la couverture d’assurance à souscrire pour eux et leur famille avant leur arrivée.

Le logement : un défi considérable

Le couple peine toutefois à subvenir à ses besoins. Les participants reçoivent une allocation de 2000 $ par mois pendant la durée de la formation d’appoint et sont exemptés des droits de scolarité. Puisqu’elle ne participe pas au programme, Sarah n’a aucun revenu. « Ils n’ont pas droit aux banques alimentaires, puisqu’ils n’ont pas droit à l’aide sociale », ajoute la Dre Dionne.

Pour moi, c’est un non-sens qu’on fasse venir des étrangers pour aider notre système de santé et que finalement ils se retrouvent dans la misère.

La Dre Sandrine Dionne, cheffe du service d’obstétrique-gynécologie à l’hôpital Honoré-Mercier

Pendant les deux premiers mois, le couple n’avait pas de logement et habitait dans une petite chambre à la Maison de la famille des Maskoutains avec leur fils de 4 ans. « Ce n’était pas un choix de vivre tous les trois dans une chambre », laisse tomber Sarah.

C’est que trouver un logement s’est avéré très difficile. « On n’avait pas de documents à montrer aux propriétaires pour renforcer notre candidature. C’était juste notre parole, dit Sarah. Personne n’accepte de louer un appartement à quelqu’un qui est arrivé il y a un mois au Québec. C’est normal. Il n’a pas de garantie. »

La Dre Dionne s’est portée volontaire pour aider, sans succès. « Quand on essayait de trouver des logements, on n’avait même pas le temps de raconter leur histoire que les personnes raccrochaient », dit-elle. Après des semaines de démarches, la famille a finalement trouvé un logement à la fin d’avril.

* Le prénom a été modifié, afin de préserver son anonymat.

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  • 65 millions
    Coût du projet de reconnaissance des compétences pour recruter 1000 infirmières et infirmiers à l’étranger
    Source : gouvernement du Québec