(Québec) La vaste réforme du ministre Christian Dubé, qui touche essentiellement à la gouvernance du réseau, ne permettra pas d’améliorer les soins, déplore la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ). Le projet de loi 15 ouvre la porte au privé et « met en péril » le secteur public, selon le syndicat.

Le syndicat de quelque 80 000 membres soutient que le projet de loi 15 qui vise à rendre plus efficace le réseau de la santé et des services sociaux ne contient aucune mesure qui permettra d’améliorer les soins sur le terrain ni de favoriser l’attraction et la rétention du personnel infirmier. « Pas du tout », a répondu la présidente de la FIQ, Julie Bouchard, interrogée par les parlementaires.

« Étonnamment, la notion de qualité des soins n’est pas mentionnée ni dans les responsabilités du ministère, ni dans celles de Santé Québec », a lancé Mme Bouchard. La FIQ s’est dite préoccupée par « la centralisation des véritables pouvoirs au sein de l’agence Santé Québec fera vraisemblablement perdre aux établissements de santé toute autonomie au profit de cette gigantesque nouvelle société d’État. »

La réforme Dubé doit se traduire par la création d’une toute nouvelle société d’État, qui se concentrera sur le volet opérationnel du ministère de la Santé et des Services sociaux. Le Ministère conservera le rôle d’établir une planification stratégique et les grandes orientations. Les changements prévus par le ministre s’effectuent essentiellement dans la gouvernance du réseau.

« Ce n’est pas avec une gouvernance unique que nous allons créer de l’attraction et de la rétention », a fait valoir Mme Bouchard. La FIQ négocie actuellement avec le gouvernement Legault pour le renouvellement des conventions collectives du personnel de la santé.

La réforme prévoit également que Santé Québec devienne l’employeur unique du réseau de la santé. Ainsi, au lieu des 136 tables de négociation actuelles avec les syndicats, la loi les fera passer à seulement 4 tables nationales. Mme Bouchard a plaidé l’importance de donner une marge de manœuvre locale aux employeurs pour adapter les conventions collectives aux réalités régionales.

Le ministre Christian Dubé a évoqué que son gouvernement pourrait conclure des lettres d’entente avec les établissements par région pour « conserver une saveur locale ».

Le syndicat craint par ailleurs que la fusion de l’ancienneté syndicale par la création d’un employeur unique vienne « affaiblir » des établissements. Des travailleurs pourraient par exemple choisir de changer d’établissement pour se rapprocher de leur domicile.

La FIQ a ouvert mercredi une nouvelle journée de consultations particulières sur le texte législatif du ministre Christian Dubé. Le syndicat avait offert un accueil hostile au projet de loi 15 lors de son dépôt, en mars. Le premier ministre François Legault avait d’ailleurs publiquement critiqué Mme Bouchard sur Twitter et le ministre Dubé avait affirmé qu’il cherchait toujours leur collaboration.

Mercredi, Julie Bouchard a dit se présenter devant les parlementaires dans « un esprit de collaboration ». Les échanges ont été cordiaux. « Je suis impressionnée du [contenu] de votre mémoire et de la profondeur de vos recommandations », a louangé M. Dubé.

Chirurgie : la FIQ pas invitée

Reste que l’harmonie était fragile. Une heure avant la commission parlementaire, Christian Dubé a présenté la nouvelle version de son plan de rattrapage en chirurgie avec le président de la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ), le DVincent Oliva. L’entente entre Québec et la FMSQ prévoit de payer du temps supplémentaire aux infirmières volontaires qui voudront mettre la main à la pâte.

« On n’a pas été invitée, on l’a appris ce matin en même temps que tout le monde […] C’est régulièrement comme ça, on se lève un matin et tout est étalé sur la place publique alors qu’on n’a pas été consulté », a expliqué Mme Bouchard, en mêlée de presse. Elle émet par ailleurs des doutes sur le moyen utilisé par Québec pour encourager les infirmières à faire du temps supplémentaire dans les blocs opératoires.

« Vous savez des primes, on en a à peu près 250 actuellement, donc il faudrait regarder aussi avec la table de négociation pour voir si ça ne vient pas contre-indication […] C’est questionnable aussi parce qu’à force d’en ajouter, c’est pas une prime qui va faire en sorte que l’infirmière va demeurer au travail et qu’elle évitera d’emblée le congé maladie parce qu’elle n’en peut plus. Il faut faire la part des choses », a-t-elle dit.

Ouvrir la porte au privé

Par ailleurs, la FIQ estime que le projet de loi 15 vient ouvrir la porte au secteur privé. L’article 2 prévoit que les services de santé et des services sociaux sont fournis dans les établissements « qui peuvent être soit publics, soit privés ».

« Intégrer aussi frontalement le privé met en péril le réseau public », a soutenu Mme Bouchard. La FIQ demande à Québec de reformuler les articles du texte législatif pour limiter le recours au privé. « Autrement, le coût de cette orientation coûtera cher à la population et menacera la capacité du réseau à fournir l’ensemble des soins et services prévus au panier de services couverts par le réseau public », a-t-elle dit.

De ne pas inclure dans la réforme des mesures d’attraction et de rétention du personnel soignant pourrait aussi contribuer à leur exode vers le privé, soutient la FIQ.