À défaut de changer le mode de scrutin, François Legault s’est engagé à rouvrir la question d’une réforme parlementaire. Ce dossier est « une priorité », assure le leader du gouvernement, Simon Jolin-Barrette.

(Québec) L’ambiance à l’hôtel du Parlement a quelque chose de solennel. Les boiseries, les vitraux et des salles mythiques comme le Salon bleu rappellent que le lieu est chargé d’histoire. Une histoire qui est écrite par les députés, au rythme dicté par le « règlement ». Certains articles de ce code de procédure, qui n’a pas été revu depuis plus de 10 ans, remontent au XIXe siècle. À Québec, on s’active pour le dépoussiérer.

« Il faut moderniser tout ça », lance le leader parlementaire du gouvernement, Simon Jolin-Barrette, en entrevue avec La Presse. L’Assemblée nationale doit mieux valoriser le rôle des députés, dit-il, particulièrement ceux — nombreux – qui ne sont ni ministres ni critiques de l’opposition.

« Les citoyens ont aussi beaucoup à y gagner. C’est important, c’est leur démocratie. Quand on dépoussière le règlement pour le rendre plus efficace, ça nous permet de traiter plus de sujets. [Mais] quand on est pris dans la procédurite, comme on l’est actuellement les citoyens sont moins bien servis, [car on a] moins de temps pour s’occuper des enjeux de fond », plaide-t-il.

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Simon Jolin-Barrette, ministre de la Justice et leader parlementaire de la Coalition avenir Québec

La pandémie a forcé les députés à revoir leurs façons de faire. Des commissions parlementaires à distance, des groupes invités à commenter des projets de loi en mode hybride : ces avancées, M. Jolin-Barrette souhaite les pérenniser. Père de jeunes enfants, il y voit aussi une manière d’améliorer la conciliation travail-famille des élus.

« Avec les élections de 2022, on a accueilli le plus de femmes députées, mais on n’est pas encore à 50-50. Si on veut faire en sorte d’accueillir davantage de femmes et de jeunes qui ont des familles, il faut rendre l’Assemblée nationale plus flexible et accessible », dit-il.

L’idée, précise M. Jolin-Barrette, est d’en arriver à un consensus « où tout le monde est à l’aise, pour faire en sorte de valoriser le rôle des parlementaires, qu’ils soient au gouvernement ou dans l’opposition ».

Au cours du dernier mandat, tous les partis politiques représentés au Parlement, de même que le président de l’Assemblée nationale, ont déposé leurs propositions afin de réformer le parlementarisme. Ces idées reprendront vie quand des négociations formelles débuteront, au cours des prochains mois.

Dire « au revoir » au roi

Le leader parlementaire de Québec solidaire (QS), Alexandre Leduc, rappelle qu’une bonne façon de réformer le parlementarisme — comme le proposait d’ailleurs sa formation, tout comme le Parti québécois (PQ) et la Coalition avenir Québec (CAQ) — serait d’abolir l’obligation pour les députés de prêter serment d’allégeance à la couronne britannique. La CAQ comme QS ont promis de déposer un projet de loi pour le faire. Les péquistes réclament pour leur part l’adoption d’une motion qui leur permettrait de siéger, d’ici à l’adoption de la loi, même s’ils n’ont pas prononcé le serment.

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Pascal Bérubé, Paul St-Pierre-Plamondon et Joël Arseneau, les trois seuls députés du Parti québécois élus le mois dernier

L’enjeu est aussi discuté ces jours-ci dans les négociations entre les partis pour reconnaître les péquistes et les solidaires comme des groupes parlementaires, même s’ils ne remplissent pas les conditions dictées par le règlement (avoir fait élire 12 députés ou avoir obtenu au moins 20 % des voix).

Affirmant qu’il était encore trop tôt dans le mandat pour parler de la réforme parlementaire, dans le contexte où les partis négocient en ce moment leur statut et leurs budgets au Parlement, le Parti libéral et le Parti québécois ont décliné nos demandes d’entrevues.

Changer le ton

Pas besoin de regarder La joute ou Mordus de politique pour savoir que le ton monte souvent au Salon bleu. La réforme parlementaire s’attaquera à la période des questions. Plusieurs idées sont proposées : augmenter le temps qui y est consacré, assurer un nombre minimal de questions, ou encore organiser une fois par année une période des questions destinée à interpeller exclusivement le premier ministre.

« La démocratie parlementaire est une manière civilisée de faire ce qui autrefois se réglait autrement à coups de sabre ou d’arbalète », rappelle l’ex-député solidaire Amir Khadir.

Un certain niveau d’adversité est légitime. Mais M. Khadir souhaiterait qu’un ministre ne perçoive pas d’emblée un critique de l’opposition comme une personne qui veut saper sa crédibilité.

« Il y a des gens qui ont la force de caractère pour le faire. Mais au lieu d’attendre que des personnalités fortes surmontent […] les habitudes, qui sont d’être complètement imperméable aux élus qui viennent des camps adverses, changeons la culture. Faisons de ça plutôt la règle, tout en gardant la possibilité de se critiquer sans se gêner », dit-il.

L’ancienne députée Lise Thériault, qui était doyenne du caucus libéral, concède pour sa part que la politique peut être « plate » quand on est relégué aux banquettes arrière du gouvernement. Mais, si elle voit d’un bon œil une réforme qui donnerait plus de responsabilités aux députés, elle s’oppose à la proposition de la CAQ de retirer les ministres de l’étude des projets de loi. « C’est lui [le ministre] qui a le pouvoir d’accepter les changements [et qui] va dire oui aux amendements », dit-elle.

L’ex-leader parlementaire du Parti québécois Martin Ouellet déplore pour sa part que les pétitions déposées au Parlement reçoivent aussi peu d’attention. « Avec […] un gouvernement avec 90 députés, ça prend des contre-pouvoirs. […] C’est pour ça que si on ne va pas plus loin avec une réforme du mode de scrutin, il faut que les citoyens aient l’opportunité de contester les décisions et d’amener des débats qui ne sont pas des questions que le gouvernement juge prioritaires », dit-il.

Des idées mises au jeu

La Presse a lu et analysé les propositions de chaque parti politique représenté à l’Assemblée nationale en matière de réforme parlementaire. Voici quelques exemples.

Coalition avenir Québec

  • Permettre aux parlementaires d’interpeller le premier ministre une fois par année, pendant deux heures, sur n’importe quel sujet
  • Créer une chambre de délibération parallèle au Salon bleu, la Chambre des affaires citoyennes, pour y entendre les « affaires des députés » (dont ceux du parti au pouvoir), « une nouvelle rubrique offrant une tribune supplémentaire aux parlementaires pour débattre, entre autres, de projets de loi qui n’émaneront pas du gouvernement » 
  • Que les ministres ne participent plus à l’étude des projets de loi en commission parlementaire
  • Que la Commission de l’Assemblée nationale se réunisse à chaque législature pour « évaluer l’opportunité » de mettre sur pied une commission spéciale transpartisane sur un enjeu d’importance

Parti libéral du Québec

  • Augmenter le temps consacré à la période des questions de 45 à 60 minutes
  • Créer une commission parlementaire itinérante qui irait à la rencontre des citoyens au début d’une nouvelle législature pour recueillir leurs préoccupations et les interpeller sur un sujet particulier ; le rapport de cette commission ferait ensuite l’objet d’un débat au Parlement
  • Prévoir une période de questions destinées au premier ministre tous les deux cycles de 10 séances
  • Créer une commission parlementaire de suivi des pétitions

Québec solidaire

  • Créer un registre public d’appui aux projets de loi qui ne sont pas déposés par le gouvernement et que ces projets de loi soient étudiés s’ils obtiennent un nombre défini de signatures d’électeurs
  • Créer une « Chambre des générations », soit une chambre parlementaire consultative et de surveillance consacrée aux enjeux du long terme
  • Créer un poste de directeur parlementaire de la science ayant pour mandat d’outiller les parlementaires qui siègent à la Chambre des générations en produisant des rapports et des analyses
  • Mettre en place un processus permettant aux citoyens d’une circonscription de déclencher, au moyen d’une pétition, un référendum révocatoire envers leur député

Parti québécois

  • Créer une commission des pétitions chargée d’étudier les pétitions présentées à l’Assemblée
  • Abolir le serment au roi
  • Faire du mercredi la « journée de l’opposition » pour que les partis de l’opposition décident des sujets à l’ordre du jour
  • Garantir 10 questions par période des questions, au lieu de l’actuelle limite de 45 minutes