(Montréal) Le gouvernement fédéral a encore obtenu d’un juge — pour une quatrième, mais dernière fois — un délai supplémentaire afin de faire adopter sa nouvelle version de la Loi sur l’aide médicale à mourir.

Malgré son irritation manifeste devant cette demande, le juge Martin Sheehan de la Cour supérieure lui a accordé un mois de plus, soit jusqu’au 26 mars, par son jugement rendu le jour même, la veille de la date butoir.

Le magistrat a bien précisé qu’il s’agit d’un « ultime délai ».

Jeudi, le ministre de la Justice, David Lametti, a écrit sur son compte Twitter qu’il avait bien compris cet avertissement.

Du même souffle, il a blâmé les élus conservateurs pour avoir ralenti le processus législatif. « Le Parti conservateur doit maintenant cesser ses tactiques d’obstruction partisanes », a-t-il écrit, l’invitant à adopter sans plus tarder le projet de loi C-7.

Avec cette quatrième prolongation, le gouvernement aura finalement bénéficié d’un délai de 18 mois et deux semaines.

Ce débat découle de la demande de deux citoyens, Jean Truchon et Nicole Gladu, qui ont cherché à faire invalider le critère de la loi fédérale qui restreignait l’aide médicale à mourir à ceux « dont la mort naturelle est raisonnablement prévisible ».

Mme Gladu et feu M. Truchon — il s’est depuis prévalu de l’aide médicale à mourir — étaient tous deux atteints de maladies dégénératives graves et très souffrantes, mais ne pouvaient être considérés « en fin de vie ». Impossible pour eux d’obtenir l’aide d’un médecin pour mettre fin à leurs jours.

La juge Christine Baudouin avait fait droit à leur demande et a invalidé ce critère restrictif, tranchant qu’il violait la Charte canadienne des droits et libertés. Elle avait donné au gouvernement un délai de six mois (jusqu’en mars 2020) pour adopter une nouvelle loi, s’il le souhaitait. Dans l’intervalle, son jugement était suspendu et l’aide médicale à mourir n’était pas possible pour les citoyens n’étant pas en fin de vie.

Ottawa a choisi d’adopter une nouvelle loi, mais n’est toujours pas arrivé au bout du processus législatif et a dû retourner plusieurs fois devant le tribunal pour demander plus de temps, invoquant d’abord les élections fédérales qui ont entraîné la suspension du Parlement, puis la pandémie de COVID-19.

Le jugement

Même s’il s’agit d’une quatrième demande, la situation milite en faveur d’une extension, écrit le juge, « compte tenu des circonstances exceptionnelles qui prévalent depuis le début de la pandémie ».

Le gouvernement fédéral a dû mobiliser ses ressources pour organiser la lutte contre la COVID-19, et cette situation se poursuit aujourd’hui : « il doit présentement gérer le risque d’une troisième vague rendu plus critique en raison de l’apparition de variants du virus et les incertitudes qui entourent toujours l’efficacité des vaccins pour contrer leur transmission », écrit le juge Sheehan dans sa décision.

Le magistrat a relevé dans son jugement tout ce qui a été récemment accompli à la fois par la Chambre des communes et par le Sénat. Bref, le processus législatif a progressé, même au cours de la présente semaine. « Il y a lieu d’espérer que le processus tire à sa fin. »

De plus, le magistrat souligne qu’il ne veut pas briser la confiance du public envers le système de justice, en court-circuitant les efforts du gouvernement « alors qu’il est si près de son objectif ».

Les avocats de Mme Gladu ne se sont finalement pas opposés à la demande de prolongation d’un mois par le fédéral.

Ils ont toutefois exprimé au juge Sheehan « l’immense exaspération » de leur cliente.

Le juge l’a bien noté. Il envoie comme message au gouvernement que « les assouplissements concédés ne doivent pas être considérés comme une licence » pour brimer les droits constitutionnels des Canadiens.

Et puis, il écrit cet avertissement : si le gouvernement tarde à faire adopter son projet de loi d’ici le 26 mars, « il faudra en déduire que cette incapacité résulte d’une absence de consensus sur les questions délicates soulevées » plutôt que la conséquence de circonstances exceptionnelles.

Le gouvernement devra alors choisir, écrit-il : soit d’adopter une réponse législative temporaire ou d’accepter que le processus législatif se poursuive en donnant effet au jugement de la juge Christine Baudouin. Bref, sans la présence de critère empêchant des gens comme Mme Gladu de demander l’aide médicale à mourir.

Pour le prochain mois, ceux qui ne peuvent plus attendre pourront demander une permission spéciale à un juge et pourront se faire rembourser par le gouvernement leurs frais judiciaires raisonnables.