Une peine de seulement 10 ans et demi d’emprisonnement pour un homme violent qui a battu à mort sa femme de 74 ans est-elle trop clémente ? Faisant face à un barrage de questions du juge François Dadour, la Couronne et la défense ont défendu bec et ongles mardi leur suggestion de peine dans ce féminicide survenu en 2020.

Accusé de meurtre au second degré, Nathaniel Albert a plaidé coupable à une accusation réduite d’homicide involontaire à la mi-septembre. Le Lavallois de 60 ans a ainsi reconnu avoir tué sa femme, Françoise Côté, le 4 décembre 2020. Il lui était alors pourtant interdit de s’approcher elle, puisqu’il était sous le coup d’une accusation pour avoir frappé sa femme à la tête.

Coupures, brûlures, ecchymoses, côtes brisées : le corps de la femme de 74 ans présentait de nombreuses blessures. Certaines d’entre elles étaient même en train de guérir, démontrant que certaines blessures avaient été infligées longtemps avant l’homicide. Le pathologiste n’a toutefois pas été en mesure de lier le décès de la septuagénaire à un coup précis.

À la suite de la reconnaissance de culpabilité de Nathaniel Albert, les avocats ont présenté au juge Dadour une suggestion commune de peine de 10 ans et demi de détention. C’est pour entendre leur argument à ce sujet que le juge avait de nouveau convoqué les parties mardi au palais de justice de Laval.

Il faut savoir que depuis l’arrêt Cook de la Cour suprême en 2016, le juge se doit d’entériner une suggestion commune, à moins que celle-ci soit « susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou qu’elle soit contraire à l’intérêt public ». En pratique, il est devenu exceptionnel qu’un juge rejette une suggestion commune de peine.

Le juge Dadour s’est dit d’emblée « préoccupé » par ce qui « semble être une peine clémente ». « Devrais-je entériner l’entente en vertu de l’arrêt Cook ? », s’est-il questionné.

Le magistrat a ainsi questionné le procureur de la Couronne MJonathan Rabchuk – qui fait équipe avec MSteve D. Fontaine – sur les « faiblesses » de la preuve du ministère public. Le procureur a alors cité « l’enjeu » de la cause précise de la mort de la victime.

« Ce n’est pas clair comme de l’eau de roche [crystal clear], contrairement à un tir par arme à feu. Est-ce la blessure au cou ? Est-ce la fracture aux côtes ? Est-ce que c’est une combinaison de tout ça ? », a souligné MRabchuk.

Selon la preuve de la Poursuite, Nathaniel Albert avait « l’opportunité exclusive » de commettre le crime puisqu’il était vraisemblablement la seule autre personne dans l’appartement ce jour-là. Cela dit, il n’y a pas de témoin visuel du crime, mais que des preuves circonstancielles, a fait valoir MRabchuk. « Ce n’est pas entièrement clair [clear cut] », a-t-il résumé.

La Couronne admet également qu’il aurait été difficile de démontrer l’intention de Nathaniel Albert de tuer sa femme dans le cadre du chef de meurtre. C’est que l’accusé est sorti acheter du poisson à l’épicerie avant de revenir chez lui pour appeler le 9-1-1. « Dans son esprit, il a l’impression qu’il va retourner à la maison et préparer le dîner », indique MRabchuk.

Aux yeux de la Poursuite, la peine suggérée de 10 ans et demi est une « sentence justifiée […] qui n’est pas déraisonnable ».

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

André Lambert, le fils de la victime, au palais de justice de Laval à la mi-septembre.

Le juge Dadour a finalement tenté de résumer la position de la Poursuite.

« Vous dites que la suggestion commune n’est pas contre l’intérêt public, essentiellement, parce que M. Albert n’a pas d’antécédent judiciaire, et deuxièmement, parce que c’est un plaidoyer de culpabilité très tôt dans le processus, avant l’enquête préliminaire. Et c’est une reconnaissance du fait que, sans caractériser votre dossier [case] comme faible ou problématique, que vous avez des “problèmes [issues]” dans votre dossier. »

« Oui, c’est exact. Tout ça a été considéré pour arriver à cette suggestion commune », a rétorqué MRabchuk.

En défense, MSteeve Rancourt a fait valoir que la cause du décès n’était pas reliée à un coup précis et que son client avait plaidé coupable. Également, les avocats ont considéré dans leur négociation le fait que Nathaniel Albert, un résident permanent canadien, serait probablement expulsé du pays à la fin de sa peine.

Le juge rendra sa décision à la fin du mois.