Un juge d’expérience du Tribunal administratif du travail (TAT) qui conteste à titre de travailleur une décision de son propre tribunal a invoqué en pratique son « ignorance de la loi » pour justifier son retard dans le dépôt d’une requête. Or, la version donnée par Simon Lemire n’est « pas vraisemblable », a tranché sa collègue du TAT.

« La situation avancée par le travailleur quant à son “impossibilité” de produire une requête en révision avant juin 2022 démontre son manque de vigilance. Elle correspond également à invoquer, dans une certaine mesure, son ignorance de la loi, ce qui ne peut constituer un motif raisonnable », a conclu la juge administrative Ann Quigley, le 14 septembre dernier.

Juge administratif au TAT, Simon Lemire est décideur depuis plus de 30 ans en matière d’accidents de travail et de maladies professionnelles. Plombier de 1967 à 1990, il a développé une surdité d’origine professionnelle, reconnue en 2012. C’est donc comme travailleur qu’il a déposé en 2021 des recours devant le TAT pour réclamer son droit à des aides techniques pour sa surdité.

Ressources internes

Simon Lemire semble toutefois avoir confondu son rôle de juge et sa vie personnelle, puisqu’il s’est mis à utiliser à de « nombreuses reprises » les ressources internes du TAT pour son recours. Il s’est même permis d’écrire à la présidente du TAT dans un courriel où il tutoie et nargue son collègue affecté à son dossier.

« Une personne bien informée conclurait facilement à la prise d’un avantage dû à sa charge de juge administratif », a conclu le juge administratif Jean M. Poirier, le 7 avril dernier. Mais refusant de « jouer dans ce mauvais film », le juge Poirier s’est finalement récusé. Le juge a cependant souligné que la demande de récusation formulée par Simon Lemire était une « forme d’intimidation ».

Deux mois plus tard, Simon Lemire a déposé une requête en révision ou en révocation contre la décision, qu’il qualifie d’« illégale », dans laquelle le juge Poirier explique les motifs de sa récusation. Le travailleur demande que les motifs de la décision soient annulés, puisque le juge Poirier lui a fait subir un préjudice important en motivant sa décision avec des éléments « erronés ».

Simon Lemire soutient que son collègue aurait seulement dû informer les parties de son intention de se récuser, « sans plus ».

Or, le délai « raisonnable » pour déposer une telle requête est de 30 jours, rappelle la juge administrative Ann Quigley.

Pour justifier son défaut de déposer sa requête dans un délai raisonnable, Simon Lemire a laissé entendre que la directrice des services juridiques du Tribunal — à qui il avait demandé « conseil » – lui avait communiqué de mauvaises informations en avril 2022. Mais la directrice lui avait seulement transmis des informations générales, avant de lui recommander de consulter un avocat afin d’éviter un possible « conflit d’intérêts ».

Sur la base de ce conseil, Simon Lemire maintient n’avoir pas déposé de requête. Il affirme avoir changé d’idée seulement après avoir reçu un courriel de la présidente du TAT envoyé à tous les juges pour clarifier les règles en matière de récusation. Une version qui n’est pas « vraisemblable », selon la juge Quigley.

« Le Tribunal ne peut que présumer que le travailleur, de par sa formation juridique et sa vaste expérience à titre de juge administratif au sein du Tribunal chargé de trancher le présent recours, était ou aurait dû être au courant de ses droits et de la manière de les exercer », a conclu la juge Quigley, déclarant ainsi irrecevable la demande du travailleur.