Les enquêteurs de l’Exploitation sexuelle et de la Moralité du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) sont déjà à l’œuvre depuis quelques semaines, et le seront encore dans les prochains jours pour tenter de faire face au phénomène de prostitution qui entoure le Grand Prix du Canada de Formule 1.

« Ce sont les clients qui sont avant tout la source du problème », affirme Marco Breton, commandant de la section Exploitation sexuelle et Moralité du SPVM.

L’officier approuve la campagne publicitaire « Payer pour du sexe est illégal au Canada », lancée récemment par Québec, en collaboration avec la Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle, et qui vise particulièrement les touristes et les partisans qui ne seraient pas seulement tentés par la course de F1.

Selon le commandant Marco Breton, depuis au moins trois semaines, ses enquêteurs visitent les grands hôtels et établissements licenciés de Montréal, et s’entretiennent avec les chauffeurs de taxi ou d’Uber pour que ceux-ci leur signalent toute situation d’exploitation sexuelle durant les journées du Grand Prix.

Nous avons plusieurs partenaires qui luttent avec nous contre l’exploitation et c’est vraiment en travaillant en amont avec eux que l’on peut faire de la prévention et diminuer la demande. Si nos partenaires nous le signalent, nous serons beaucoup plus efficaces pour lutter contre le phénomène.

Marco Breton, commandant de la section Exploitation sexuelle et Moralité du SPVM

Les secteurs du Vieux-Montréal, du centre-ville et du Plateau-Mont-Royal sont particulièrement au cœur des efforts policiers.

Tous les effectifs de l’Exploitation sexuelle, de la Moralité et de l’escouade Éclipse, spécialisée dans la collecte de renseignements et la surveillance des bars, sont mis à contribution.

Les policiers surveillent également les réseaux sociaux et les différents sites où les services sexuels sont annoncés.

Historiquement, les corps de police agissent immédiatement lorsqu’ils savent que de jeunes femmes mineures sont victimes d’exploitation sexuelle.

PHOTO FOURNIE PAR LE SPVM

Le commandant Marco Breton

C’est sûr qu’il y aura des opérations et de la répression. Oui, on sera sur le terrain, on répondra à ce qu’il se passera, mais je ne peux pas entrer davantage dans les détails.

Marco Breton, commandant de la section Exploitation sexuelle et Moralité du SPVM

« Si nous sommes face à une situation de prostitution, le client sera arrêté et la fille, qui pour nous est souvent une victime, sera prise en charge. On va essayer de la sortir du milieu et lui offrir tous les services pour qu’elle n’y retourne pas. On mise beaucoup sur les victimes pour qu’elles dénoncent les proxénètes », ajoute-t-il.

Impossible de lutter seul

L’officier croit qu’« il est raisonnable de penser » que l’offre de prostitution pourrait être plus importante lors du Grand Prix en 2022 que par les années passées, après deux ans d’absence.

En 2019 et auparavant, des corps de police ont déjà indiqué que les proxénètes et les escortes d’autres provinces canadiennes seraient plus nombreux à converger vers Montréal à l’occasion de la semaine du Grand Prix.

Des experts ont également conclu que les annonces de services sexuels et d’escorte sur les réseaux sociaux ou sur l’internet seraient beaucoup plus nombreuses durant la même période.

Mais le commandant Breton n’est pas en mesure de confirmer cette tendance ni de quantifier le phénomène.

Il admet toutefois que ses enquêteurs travaillent sur un terrain qui est bien vaste et qu’ils ont besoin des tenanciers d’hôtels et de bars, des chauffeurs de taxi et d’autres partenaires pour lutter contre l’exploitation sexuelle durant le Grand Prix.

« De plus en plus, on voit que nos partenaires veulent nous aider. Ils veulent dénoncer parce que ce n’est pas toléré. C’est là que ça peut faire une différence dans notre mission, sinon c’est difficile pour nous de pouvoir vraiment enrayer le problème », dit le commandant, selon qui Montréal peut être considéré comme une plaque tournante de l’exploitation sexuelle au même titre que les autres grandes villes du monde.

photo Bernard Brault, archives La Presse

Le Grand Prix du Canada est présenté le dimanche 19 juin au circuit Gilles-Villeneuve, à Montréal.

« Montréal ne fait pas exception. Les grandes villes sont toujours plus sujettes au tourisme sexuel. On ne jouera pas à l’autruche », conclut M. Breton.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.

« À chaque Grand Prix, il se passe des évènements malheureux »

Avant que la pandémie ne force l’annulation des deux dernières éditions du Grand Prix du Canada, le week-end de la Formule 1 rimait malheureusement avec une recrudescence de l’exploitation sexuelle, surtout celle des jeunes femmes. À l’occasion du retour de l’évènement dans la métropole, les intervenants s’activent.

Photo Edouard Plante-Fréchette, archives LA PRESSE

Rue Crescent durant le week-end du Grand Prix du Canada de 2019

La réalité est crue : un lien direct existe entre les « grands évènements » et la prostitution, indique Jennie-Laure Sully, organisatrice communautaire de la Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle (CLES). « Qu’il s’agisse du Super Bowl ou de la Coupe du monde de soccer, l’achalandage des centres-villes est multiplié par le tourisme, interne comme international. C’est donc une véritable mine d’or pour les proxénètes », remarque-t-elle.

L’ampleur réelle de ce phénomène est difficile à quantifier, surtout après plus de deux ans de pandémie.

On ne sait pas exactement comment ça va se dérouler, mais chose certaine, à chaque Grand Prix, il se passe des évènements malheureux.

Jennie-Laure Sully, organisatrice communautaire de la CLES

Cette logique fait craindre à Isabelle Gélinas, directrice des communications du Y des femmes de Montréal, que la demande pour du sexe tarifé ait suivi l’engouement exacerbé pour le retour de la Formule 1.

Au cours de la dernière décennie, nombreux ont été les reportages ayant fait état du recrutement actif de travailleuses du sexe qui s’exerçait dans les semaines précédant le Grand Prix. Pascale Philibert, conseillère à la Direction de la protection de la jeunesse de la Montérégie, souligne que la sollicitation de jeunes adolescents se fait maintenant principalement par l’entremise des réseaux sociaux : les jeunes sont attirés par la vie de luxe, les bijoux et les belles robes.

Le recrutement se fait également entre amis. « Nous avons commencé à entendre des témoignages de jeunes femmes qui se font demander de solliciter leurs amies », remarque Jennie-Laure Sully.

« On fait énormément de sensibilisation en amont auprès des intervenants et des parents parce que la dernière chose que l’on souhaite, c’est que les adolescents et adolescentes soient surpris de recevoir une sollicitation un peu avant le Grand Prix. Ils doivent avoir le réflexe de se demander ce qui se cache derrière une offre parfois trop alléchante », précise Pascale Philibert, à la tête du projet Mobilis depuis une dizaine d’années.

Le projet Mobilis, qui lutte contre le proxénétisme et l’exploitation sexuelle de jeunes filles, s’est d’ailleurs attelé à former bon nombre d’intervenants de centres jeunesse de la Montérégie dans les dernières semaines afin de prévenir les fugues, souvent plus nombreuses lors de la fin de semaine du Grand Prix.

Responsabilité partagée

Selon Mme Philibert, le Grand Prix est en outre l’occasion idéale pour un parent d’aborder le sujet de l’exploitation sexuelle avec ses enfants. « Les parents ont un rôle clé à jouer ; ils sont ni plus ni moins un filet de sécurité. Et les jeunes donnent souvent quelques indices aux adultes autour d’eux. Ce n’est pas normal, à 13 ans, de se rendre à un party dans un hôtel ou dans un Airbnb. »

Elle suggère aux parents de mettre leurs adolescents au défi et de prévoir avec eux un plan de sécurité si une fête organisée tourne mal.

Isabelle Gélinas avance quant à elle deux pistes de prévention. D’abord, elle suggère que les festivals, bars et hôtels reçoivent des incitatifs fiscaux pour sécuriser leurs lieux.

Les festivals obtiennent des subventions selon leur plan d’évacuation, alors pourquoi ne pas faire de même avec un plan de sécurité pour minimiser la prostitution ?

Isabelle Gélinas, directrice des communications du Y des femmes de Montréal

Mme Gélinas constate ensuite que les centres jeunesse sont un véritable « aimant à proxénètes », notamment parce que leurs adresses sont publiques. « La mise sur pied d’un réseau de foyers amis, calqué sur le fonctionnement de l’organisme Parents-Secours*, pourrait être une belle porte de sortie à l’emprise que les proxénètes ont sur leurs victimes, qu’elles soient des femmes ou des hommes. »

« Il faudrait de grosses campagnes chocs »

Elle déplore par ailleurs que la responsabilité de la sensibilisation repose sur les organismes communautaires, comme ceux qui ont formé le comité « Un trop Grand Prix ». « Il faudrait de grosses campagnes chocs comme celles contre l’alcool au volant, et que les sanctions soient adaptées au délit », argumente-t-elle.

Avec le grand retour de la F1 à Montréal, la CLES trouve particulièrement important de s’adresser aux touristes sexuels et autres clients de la prostitution qui voient dans le Grand Prix une occasion d’acheter des actes sexuels.

« La campagne publicitaire de cette année cible les clients, car on constate que beaucoup de personnes ne connaissent pas la Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d’exploitation de 2014. Le client est à la base du système et, sans lui, les proxénètes ne chercheraient pas à recruter. Il faut faire réaliser au client quel genre de système il encourage », affirme Jennie-Laure Sully.

* Parents-Secours offre un réseau de foyers-refuges sécuritaires où les enfants et les aînés qui sont en difficulté quand ils circulent dans les rues peuvent obtenir une aide immédiate.