Le ministre Simon Jolin-Barrette s’est montré préoccupé vendredi par la tenue récente d’un procès criminel secret dont toutes les traces ont été effacées. Il affirme vouloir faire « le tour de la question », mais refuse de dire ce que fera son gouvernement pour le moment.

« J’ai pris connaissance effectivement de l’article. Je suis en train de regarder la décision et je vais pouvoir vous revenir avec des commentaires supplémentaires une fois que j’aurai fait le tour de la question », a-t-il expliqué aux journalistes vendredi, en marge d’une conférence de presse.

Il réagissait ainsi aux révélations de La Presse, selon lesquelles la Cour d’appel a dénoncé la tenue d’un procès criminel dont il ne reste « aucune trace ». Par écrit, son cabinet précise avoir demandé des explications vendredi, en se disant « surpris de cette situation ». « Cela est certes hors du commun. Le caractère public des débats dans nos tribunaux est un principe fondamental pour maintenir la confiance du public envers ses institutions. Cependant, les juges ont le pouvoir, dans des circonstances bien précises, d’exceptionnellement déroger à cette règle, par exemple pour des raisons de sécurité », écrit l’attachée de presse, Elizabeth Gosselin.

Au Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP), la porte-parole MAudrey Roy-Cloutier rappelle prudemment « qu’en raison de l’importance devant être accordée au privilège de l’informateur de même qu’aux ordonnances rendues par la Cour d’appel du Québec, le DPCP ne peut confirmer ou infirmer avoir agi comme poursuivant dans cette affaire ». Le Service des poursuites pénales du Canada, la couronne fédérale, s’est aussi dit incapable de confirmer ou infirmer sa participation, « compte tenu du caviardage que la Cour d’appel a cru bon d’appliquer dans le dossier ».

Bref rappel des faits

Dans la version publique, mais lourdement censurée de leur décision, qui a été publiée mercredi, trois juges de la Cour d’appel du Québec surnomment cette affaire « le dossier X ». Peu de détails sont donnés, mais les magistrats précisent que l’affaire concernait un mystérieux informateur ou une informatrice de police.

Cette personne avait vraisemblablement une « entente verbale » pour collaborer avec des policiers d’expérience dans le cadre d’une enquête criminelle non identifiée. Or, tout aurait dérapé lorsqu’après avoir révélé l’existence d’un crime aux enquêteurs, cette même personne se serait retrouvée accusée de ce crime, ce qui semblait violer les termes de son entente avec la police.

Selon la Cour d’appel, les avocats de l’informateur de police se seraient alors entendus avec les procureurs de la Couronne pour tenir secret le procès du « dossier X », en contravention avec les règles les plus élémentaires du système de justice, qui est censé être public. Les parties voulaient ainsi protéger l’identité de l’informateur, afin que sa vie ne soit pas menacée par des criminels.

On ignore dans quelle région s’est déroulée l’affaire, ni à quel moment, et on ne sait pas quel corps policier a été impliqué. Rien n’a non plus été dévoilé sur la nature des accusations déposées.

« Cette façon de procéder était exagérée et contraire aux principes fondamentaux qui régissent notre système de justice », écrit le comité de juges dans sa décision, déplorant qu’« aucun numéro formel ne figure sur le jugement étoffé du juge du procès », que les témoins ont été « interrogés hors de cour », et qu’« en somme, aucune trace de ce procès n’existe, sauf dans la mémoire des personnes impliquées ».

« La Cour est d’avis que si des procès doivent protéger certains renseignements qui y sont divulgués, une procédure aussi secrète que la présente est absolument contraire à un droit criminel moderne et respectueux des droits constitutionnels non seulement des accusés, mais également des médias, de même qu’incompatible avec les valeurs d’une démocratie libérale », ont également statué les magistrats.