« Manque de planification », « rapidité excessive » : l’intervention policière qui s’est terminée par la mort Pierre Coriolan, le 27 juin 2017, met en lumière « les conséquences d’un manque de formation des policiers » devant un individu perturbé mentalement.

C’est ce que conclut entre autres choses le coroner Luc Malouin dans son rapport rendu public mercredi matin.

« Cette intervention ne répond pas à ce à quoi on s’attend des policiers formés au cours des dernières années », écrit-il.

Six policiers du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) se sont rendus à l’appartement de M. Coriolan, dans le Centre-Sud, car il était en crise et saccageait son logis.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Policiers devant le logement de Pierre Coriolan, au lendemain du drame, le 28 juin 2017

Au cours de l’intervention, qui a duré un peu plus de cinq minutes, M. Coriolan a reçu trois tirs d’armes à feu, des décharges de pistolet de type Taser de 36 secondes au total, en plus d’être visé par une arme d’impact, puis désarmé à coups de bâton.

Le sergent Michon sous la loupe

Le coroner s’attarde particulièrement sur le travail du sergent Jimmy Carl Michon.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Au premier plan, le sergent Jimmy Carl Michon, qui était responsable de l’intervention

« Le sergent Michon, alors responsable de l’opération, aurait dû rester en retrait pour garder un regard complet et objectif sur l’opération, mieux analyser celle-ci et mieux la diriger. […] Le sergent Michon était le seul des six policiers à connaître l’information que M. Coriolan était possiblement seul dans son logement. »

À l’arrivée des policiers, le coroner Malouin note que M. Coriolan est calme et que cela aurait dû orienter l’opération. Les agents auraient dû « basculer en mode défensif une fois qu’ils ont constaté qu’il était assis dans son appartement », « qu’il n’y [avait] plus aucune urgence d’agir ».

M. Coriolan est dans son monde, il a brisé ses biens et, manifestement, il est seul dans son appartement. […] Il n’y a aucun danger pour personne et il faut donc trouver un dénouement paisible à la situation.

Luc Malouin, coroner

Dans un cas comme celui-ci, « les formations récentes recommandent aux policiers d’y aller avec douceur, de ne pas hausser le ton et de tenter d’établir un contact avec la personne pour amener un déroulement pacifique. M. Coriolan était en crise et probablement déconnecté de la réalité au moment des évènements. Il avait besoin d’aide », résume M. Malouin.

« Aucune formation »

Le coroner souligne cependant que les policiers (qui ont été filmés par des citoyens) « n’avaient eu aucune formation sur la façon d’aborder ce genre de situation. Pour moi, cette situation est problématique et inacceptable ».

« Tous ces policiers travaillent au poste de quartier 21, situé dans le centre-ville de Montréal […], un secteur où il y a beaucoup d’itinérants et de personnes ayant des problèmes de santé mentale ou de consommation. Il est essentiel que ces policiers soient mieux formés pour agir face à des personnes en crise. »

Aucun des agents présents lors de l’intervention n’avait de formation « pour faire face à une telle situation avant les tristes évènements du présent dossier ».

Et, encore pire à mon humble avis, aucun des sergents n’a depuis fait ce genre de formation.

Luc Malouin, coroner

Il ne faut pas seulement former les policiers, mais également tous leurs superviseurs et chefs d’équipe. « On le doit à M. Coriolan et on le doit à l’ensemble des citoyens, car personne n’est à l’abri d’un évènement qui viendra le perturber ou affecter son état mental », insiste le coroner Malouin.

Des recommandations laissées lettre morte à répétition

Les policiers du SPVM ont tous reçu la formation en intervention tactique rapide en vigueur depuis le drame survenu à l’École polytechnique de Montréal en 1989, relève aussi le rapport. Cette formation est fondée sur le principe que les policiers doivent intervenir rapidement pour isoler et maîtriser la personne qui est une menace. « C’est exactement ce qu’ils ont fait ici. Ils ont agi rapidement avec le résultat que l’on connaît. Dans cette formation, le principe directeur est d’isoler et de contrôler rapidement la personne menaçante. Malheureusement, cette formation est désuète et révolue, car elle ne tient pas compte de l’état mental de la personne en crise. »

Luc Malouin souligne qu’en 2012, dans le rapport suivant la mort de Mario Hamel, le coroner Jean Brochu y allait déjà de diverses recommandations pour améliorer les interventions auprès de personnes en situation de crise.

« J’ai moi-même produit, le 25 février 2016, le rapport d’enquête publique dans le dossier de M. Alain Magloire » sur lequel les policiers ont aussi fait feu « alors qu’il avait un état mental perturbé ».

La famille satisfaite

La famille de Pierre Coriolan, qui poursuit la Ville de Montréal, a fait savoir par communiqué qu’elle était satisfaite du rapport.

MVirginie Dufresne-Lemire souligne à quel point la lutte est ardue pour les proches de M. Coriolan. « Le gouvernement a consenti une aide financière de 10 000 $ pour que la famille soit représentée lors de l’enquête du coroner et il a fallu une levée de fonds pour financer la cause civile. Et c’est sans compter sur les frais funéraires que la famille a dû payer elle-même. »

Selon une demande d’accès à l’information faite par la Ligue des droits et libertés, la Ville de Montréal avait déjà dépensé 191 000 $ en date du 8 juillet 2021 pour défendre ses policiers, comme le prévoit leur convention collective.

Cette somme n’inclut pas la rémunération des avocats de la Ville ni les sommes versées aux avocats du ministère de la Sécurité publique, de la Fraternité des policiers et policières de Montréal et du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP).

MDufresne-Lemire fait observer qu’il a été dit et redit depuis des années que face à une personne en crise, « on ne peut pas arriver et lui crier dessus, en lui pointant des armes », sans risquer une tragédie.

« Cela fait des années que des rapports dénoncent le manque de formation des policiers », se désole-t-elle.

Un rapport rigoureux, dit le SPVM

Soulignant la rigueur du travail du coroner Malouin, le SPVM dit accueillir « avec ouverture le rapport » et analysera « l’ensemble des recommandations émises ».

Yves Francoeur, président de la Fraternité des policiers, a dit appuyer les recommandations du coroner « particulièrement quant à l'ajout, dans la loi, de l'obligation de formation continue » qui inclurait un nombre d'heures minimal.

Au cabinet de Geneviève Guilbault, ministre de la Sécurité publique, on indique qu’« on va prendre le temps d’analyser les recommandations en profondeur » et que le projet de loi 18 va dans le sens d’une modernisation des pratiques policières.

Le cabinet de Valérie Plante a enfin souligné que « les policiers doivent être le mieux outillés possible pour faire face à la réalité de la société actuelle, notamment par la bonification des formations. Le SPVM a d’ailleurs mis sur pied une formation sur la désescalade qui devrait être la voie privilégiée » dans des interventions où les personnes ont un problème de santé mentale.

En savoir plus
  • 5 minutes et 18 secondes
    Durée totale de l’intervention policière
    Rapport d’enquête du coroner sur la mort de Pierre Coriolan