Le dernier vestige de la guerre des motards, l’ancien bunker des Hells Angels de la section de Sherbrooke dans la ville du même nom, tombera sous les pics des démolisseurs ce mercredi.

La forteresse de la rue Wellington Sud est le dernier des anciens bunkers des Hells Angels encore debout. C’est également celui qui recèle le plus d’histoire.

C’est dans ce local qu’a eu lieu en 1985 la fameuse purge de Lennoxville, c’est-à-dire les meurtres des Hells Angels de la défunte section de Laval (North) dont les corps avaient été retrouvés plus tard dans le fleuve Saint-Laurent.

Des rencontres des membres des Hells Angels, appelées « messes », y ont eu lieu à plusieurs reprises durant la guerre des motards, parfois même dans un abri, à l’extérieur, parce que les motards craignaient que les policiers y aient placé des micros.

Les motards y ont parfois enterré leur argent sur les terrains adjacents ou s’y sont exercés au tir.

L’ancien Hells Angel Sylvain Boulanger, devenu le témoin repenti par lequel l’enquête SharQc est arrivée, était membre de la section de Sherbrooke et a pris part à des réunions.

Lors d’une perquisition effectuée dans le bunker de Sherbrooke, les enquêteurs de la Sûreté du Québec ont retrouvé des renseignements sur les ennemis des Hells Angels.

« C’est une page d’histoire qui se tourne et la fin d’un chapitre noir. Cela fait 12 ans qu’on attend que le bunker passe sous le pic des démolisseurs », se félicite le maire de Sherbrooke, Steve Lussier.

« Démolir un tel bâtiment est très symbolique. C’est un message fort que le gouvernement et la Ville envoient qu’ils ne toléreront pas que des groupes affichent ainsi leur suprématie et fassent de l’intimidation. On devrait profiter de cette démolition pour adopter une loi provinciale anti-bunker », renchérit MBrigitte Bishop, qui fait partie des procureurs qui ont mené le combat pour confisquer le bunker et qui est aujourd’hui patronne du Bureau de l’inspecteur général de la Ville de Montréal.

Zone protégée

Après 11 ans d’un bras de fer devant les tribunaux, le Procureur général du Québec a pu confisquer la forteresse et les cinq terrains – d’une superficie totale de plus de 113 500 mètres carrés – composant la propriété, après que la Cour suprême eut refusé d’entendre la cause il y a un peu plus d’un an.

Depuis, c’est le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) qui administre la propriété en tant que gestionnaire du bien d’autrui.

En avril 2020, la dette envers la Ville de Sherbrooke en taxes impayées depuis la saisie lors de l’opération SharQc le 15 avril 2009 s’élevait à plus de 72 000 $.

La porte-parole du Directeur des poursuites criminelles et pénales, MAudrey Roy-Cloutier, a déclaré à La Presse que le DPCP a effectué deux versements totalisant 59 000 $ (pour trois des cinq lots) à la Ville de Sherbrooke l’an dernier.

Mardi, la Ville de Sherbrooke a indiqué à La Presse que les arrérages des taxes municipales étaient toujours de 59 000 $ et que la propriété est évaluée à 418 000 $.

Pour sa part, le DPCP a fait évaluer la propriété par un évaluateur agréé, qui a estimé la juste valeur marchande à 538 000 $.

La Ville de Sherbrooke a refusé une première offre du DPCP, qui voulait lui vendre les terrains, et a fait changer le zonage pour en faire une zone protégée.

« Nous allons analyser toutes les options. Notre intention est de vendre les terrains au plus offrant toujours dans l’optique que les profits issus des produits de la criminalité iront dans le fonds de partage et seront répartis aux victimes d’actes criminels, aux corps de police et aux organismes communautaires en prévention du crime », affirme MRoy-Cloutier.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

La porte-parole du Directeur des poursuites criminelles et pénales, MAudrey Roy-Cloutier

« Ils peuvent bien essayer de vendre les terrains, mais ils sont zonés nature et on refuserait toute construction. Il n’y a aucun service de la Ville à cet endroit. On va proposer qu’ils fassent un don à Nature Cantons-de-l’Est », réplique M. Lussier, laissant ainsi présager une négociation serrée.

Girouette à tête de mort ailée

MRoy-Cloutier affirme que la propriété, dont une bonne partie est en pente, a fait l’objet d’une décontamination dernièrement.

Le bunker a été laissé à l’abandon depuis 2009, si bien qu’il diminuait la valeur marchande de la propriété, selon elle. Un incendie a même éclaté dans le bâtiment en décembre dernier, mais les dommages ont été limités.

Après que la Cour suprême eut annoncé qu’elle n’entendrait pas la cause au printemps 2020, des Hells Angels, escortés de policiers, ont récupéré quelques biens meubles et objets qui ont survécu au temps, ont indiqué des sources à La Presse.

Parmi ces objets, une girouette à tête de mort ailée, symbole des Hells Angels, qui avait déjà été fixée au bout d’un mât, sur le terrain du groupe de motards.

Une conseillère de la Ville de Sherbrooke a milité en 2020 pour un projet de parc nature et de centre d’interprétation sur le crime organisé sur les terrains de l’ancienne forteresse, mais cette idée n’a jamais été envisagée par les autorités municipales.

Les anciens bunkers des Hells Angels de Sorel (Montréal), Lévis (Québec), Trois-Rivières, Saint-Basile-le-Grand (South) et Longueuil (South) ont également été démolis. Des ententes ont été conclues avec les villes, des organismes ou autres, mais les terrains n’ont jamais été cédés gratuitement, affirme MRoy-Cloutier.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.