L'insécurité croissante en Afghanistan rendra «difficile» la réalisation d'un projet prioritaire du Canada: faire disparaître à jamais en 2009 une des maladies infantiles les plus terribles, la poliomyélite.

Le responsable médical de l'Équipe d'éradication de la poliomyélite pour l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a indiqué que l'éradication reste possible, mais la vaste campagne en cours pourrait être enrayée par de sérieuses entraves.

Le Canada investit 60 millions $ sur trois ans pour éliminer totalement toute trace de cette maladie débilitante d'ici à 2009, ce qui en fait le plus important donateur international dans cette lutte coordonnée par l'OMS dans ce pays d'Asie centrale. C'est un des trois projets prioritaires du Canada dans la province de Kandahar, avec la réfection du barrage Dahla et la construction d'écoles.

«Si on compare avec la situation antérieure en Afghanistan, c'est techniquement possible, mais des enjeux opérationnels pourraient rendre difficile l'atteinte de l'objectif», a commenté le responsable médical de l'OMS, le Dr Tahir Mir, dans une entrevue téléphonique depuis la ville de Kandahar.

De «très bons» progrès ont été réalisés depuis 2001, à l'époque où la maladie était répandue dans tout le pays, alors qu'aujourd'hui elle est localisée dans le sud du pays, a rappelé le Dr Mir. Bref, dans la zone où fait rage l'insurrection.

Au cours des trois premiers mois de 2009, l'OTAN a rapporté une augmentation de 73 pour cent des attaques des talibans.

L'«inaccessibilité» des populations se révèle maintenant être une préoccupation majeure, dans la province de Kandahar, a précisé le médecin.

«La sécurité ne nous permet pas d'aller dans certaines régions, a-t-il expliqué. C'est vraiment critique, car il nous faut pouvoir vacciner chaque enfant.»

Au cours des quatre premiers mois de 2009, sept cas de polio ont été confirmés au pays. Six de ces sept cas ont été détectés dans des provinces méridionales, dans Kandahar et dans Helmand; l'autre est à l'est,

au Nouristan.

En janvier et en mars, deux rondes de «Journées nationales d'immunisation à domicile» ont été menées, ciblant 7,5 millions d'enfants de moins de cinq ans.

Selon les renseignements fournis par le Dr Mir, la qualité des campagnes se maintient et atteigne l'objectif recherché, «sans toutefois atteindre un niveau satisfaisant dans les province de Kandahar, Helmand, Uruzgan, Zaboul et Farah», en raison de la détérioration de la sécurité. À cet effet, les 23, 24 et 25 mai ont été proclamés «jours de trêve», pour faciliter la circulation des équipes d'immunisation à travers le pays.

En dépit d'«efforts considérables», l'interruption souhaitée de la transmission du virus ne s'est pas encore concrétisée, conclut-on à l'OMS. Pire, les mesures de l'OMS démontrent la «circulation continue et ininterrompue» du virus dans des zones localisées de cette région. La couverture des équipes est «bien en-deçà du niveau recherché» et la menace de propagation dans les autres régions persiste.

Un porte-parole canadien en charge du dossier de la polio, Andrew Harder, a indiqué en entrevue récemment que la présence de la polio au-delà de la frontière afghane, au Pakistan, complexifie encore davantage les efforts d'éradication. D'ailleurs le programme canadien comprend aussi le pays voisin, puisque les cas de polio y sont en hausse et puisque les deux États sont considérés comme un seul «réservoir épidémiologique» par l'OMS, a rappelé M. Harder.

«Il y a beaucoup de migrations transfrontalières, c'est un défi supplémentaire dans cette campagne, puisqu'elle doit être menée des deux côtés de la frontière pour être efficace», a fait remarquer M. Harder, qui est responsable des affaires humanitaires et de la santé à l'Equipe de reconstruction provinciale, une entité canadienne chargée d'une foule de projets civils et militaires dans la province de Kandahar.

De même, l'ampleur technique des opérations constitue un tour de force en soi, a-t-il fait valoir. Chaque enfant doit recevoir une dose par mois pendant cinq mois successifs pour être considéré immunisé et il faut une couverture de 95 pour cent de la population infantile pour juguler la maladie.

«De toute évidence, dans un pays comme l'Afghanistan, vous pouvez vous imaginer combien ce défi logistique est immense», a-t-il évoqué. Plus de 8000 bénévoles sont mobilisés, formés et encadrés, ils doivent publiciser leur visite, passer de localité en localité, de maison en maison, marquer le doigt de chaque enfant à l'encre, etc.

«Il y a beaucoup de pièces mobiles dans cette campagne», a-t-il illustré.

La poliomyélite affecte principalement les enfants de moins de cinq ans. Une infection sur 200 entraîne une paralysie irréversible, habituellement aux jambes. Entre cinq et 10 pour cent des personnes paralysées meurent parce que les muscles permettant la respiration s'immobilisent.

Seuls quatre pays dans le monde n'ont pu à ce jour interrompre la transmission endémique de la polio - l'Afghanistan, le Pakistan, l'Inde et le Nigéria - comparativement à 125 pays en 1988, selon l'OMS.