Pendant le ramadan, une armée de bénévoles cuisine et distribue tous les jours 1200 repas gratuits aux membres de la communauté musulmane dans un restaurant de Montréal.

Durant un mois, chaque année, Meryem Zemouri ne dort pas chez elle. La mère de famille couche plutôt dans un petit appartement, à un jet de pierre du restaurant de son mari, rue Jean-Talon Est.

C’est que la tâche qui l’attend exige qu’elle s’y rende plusieurs fois par jour. Tôt, dès 7 h, puis très tard dans la journée, à 22 h 30, jusqu’à 3 h du matin parfois.

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Depuis maintenant quatre ans, Meryem Zemouri réquisitionne le restaurant de son mari durant un mois, à l’occasion du ramadan, pour y distribuer des centaines de repas gratuits aux membres de la communauté musulmane de Montréal.

Elle voit ses enfants lorsqu’ils rentrent à la maison, le temps du souper. Si le fait de vivre séparée d’eux lui pèse, rien n’y paraît. Durant ce mois, ils savent qu’elle « abandonne tout ».

Ce mois, c’est celui du ramadan.

Plus de deux milliards de musulmans à travers le monde y respectent un jeûne intermittent, du lever au coucher du soleil, pour commémorer la révélation du Coran reçue par le prophète Mahomet.

La mission que Meryem Zemouri et une armée de bénévole se sont donnée, à Montréal, chaque jour de ce mois sacré qui a lieu cette année du 10 mars au 9 avril : nourrir le plus grand nombre d’entre eux.

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Rue Jean-Talon Est, on devine rapidement l’emplacement du restaurant Le Goût du Bled en voyant la queue qui s’étire devant l’établissement.

Ce pour quoi elle cuisine donc tous les jours pendant un mois 1200 repas gratuits qui sont distribués au restaurant de son mari, Le Goût du Bled, dans le Petit Maghreb.

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Chaque jour durant le ramadan, la file de clients s’étire devant Le Goût du Bled, rue Jean-Talon Est, à tel point qu’il faut des bénévoles à l’extérieur pour coordonner la distribution.

« Le mois du ramadan, c’est pour moi »

Déjà impliquée dans la confection de paniers de Noël pour les plus démunis, cette femme d’affaires qui exploite des garderies à Verdun explique avoir eu l’idée de cette grande distribution lorsque son mari a voulu ouvrir un restaurant.

« Je lui ai dit : le mois du ramadan, c’est pour moi. On s’oublie, on ne travaille pas. J’ai toujours rêvé depuis mon jeune âge de nourrir les gens dans le besoin durant ce mois sacré. »

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Pendant un mois, 1200 repas gratuits sont distribués chaque jour au restaurant Le Goût du Bled, dans le Petit Maghreb, à Montréal.

Étudiants, personnes seules ou démunies : la queue s’étire tous les soirs devant le commerce de la rue Jean-Talon Est, où l’on peine à compter les clients satisfaits tant ils semblent nombreux, jusqu’à l’abri d’autobus, sacs en papier brun à la main.

À l’intérieur, un menu typiquement algérien, pays d’origine de Meryem Zemouri, où le ramadan est un évènement social.

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Des boureks, de petits roulés de pâte feuilletée à la viande et au fromage

Ce jour-là, en entrée, c’est de la chorba, une soupe algérienne de viande et de pois chiches. Pour le repas, les clients se font offrir des tajines accompagnés d’une salade. Le tout complété par un bourek, un roulé de pâte feuilletée à la viande et au fromage, mets incontournable du ramadan.

Une tâche titanesque

De 250 à 500 repas par jour, la distribution au Goût du Bled a rapidement grossi avec les années, grâce à des donateurs de la communauté.

« On a zéro aide d’associations, de l’État, ou quoi que ce soit. C’est entre nous, musulmans, qu’on s’entraide, explique Meryem Zemouri. Il y en a qui apportent de la viande, d’autres font des virements et avec ça, on achète l’emballage. Des fournisseurs nous donnent, des magasins aussi. »

Mais la tâche est titanesque. Par chance, Meryem Zemouri peut compter sur de nombreux bénévoles qui animent tous les jours le restaurant comme une fourmilière.

Maria Amokrane, qui se présente comme une influenceuse de la communauté algérienne au Canada, est l’une de ces bénévoles. Venue pour la première fois rencontrer certains de ses abonnés devant Le Goût du Bled, elle a rapidement été happée par l’ambiance bon enfant et bourdonnante qui règne dans le commerce plein à craquer.

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Maria Amokrane aide à la distribution des plats au Goût du Bled.

Si elle trouve difficile le fait de travailler et d’étudier tout en jeûnant durant toute la journée, « d’être ici, ça fait que le temps passe plus vite ». « On est à 7700 kilomètres de l’Algérie et ça fait bizarre de faire le ramadan loin de la famille, mais ici, on est comme une seule grande famille », confie-t-elle.

De la détresse

Car le ramadan, c’est aussi une occasion de se rassembler en famille, confirme Nassim Andjouh, rencontré devant Le Goût du Bled. « En Algérie, le ramadan, c’est partout, c’est vraiment différent par rapport aux autres jours », ajoute-t-il.

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Nassim Andjouh

Au moment où les banques alimentaires sont débordées – l’une d’entre elles ayant même demandé la présence des policiers le mois dernier dans le quartier Parc-Extension, car des bousculades se sont produites lors d’une distribution de nourriture –, Meryem Zemouri confirme la demande insatiable pour ses repas gratuits.

« Je vous dis : on fait 1200 repas et il y a toujours des gens qui viennent et à qui on doit dire qu’il n’en reste plus. C’est difficile, les gens ne trouvent pas de travail, pas de logement », dit-elle.

Une impression confirmée par la queue qui s’étire, comme tous les soirs du ramadan, devant Le Goût du Bled.

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  • 365 675
    Nombre de personnes résidant dans le Grand Montréal qui se déclarent de confession musulmane
    source : Statistique Canada