Les coupes de Groupe TVA en région créent un choc chez certains élus, qui s’inquiètent de l’impact sur la démocratie locale. Un risque bien réel, confirme un chercheur de l’Université d’Ottawa.

« En région, le téléjournal de TVA était un classique. On savait que si la nouvelle passait à TVA, la majorité des gens du territoire allaient la regarder. On vient de perdre un lien important avec nos concitoyens », déplore Bruno Paradis, président de la Table régionale des élu-es municipaux du Bas-Saint-Laurent.

Les employés de Groupe TVA passeront de 29 à 6 – soit trois journalistes et trois caméramans – pour les régions de la Côte-Nord, du Bas-Saint-Laurent et de la Gaspésie. « On ne peut imaginer qu’un aussi petit groupe pourra couvrir un aussi vaste territoire », tranche M. Paradis.

Or, les médias régionaux ont un rôle important dans la démocratie locale, selon plusieurs études menées aux États-Unis, explique Marc-François Bernier, professeur du département de communication de l’Université d’Ottawa.

Le premier impact touche la bonne gestion des dépenses publiques. Si les autorités locales ne font pas l’objet d’une surveillance médiatique, les fonds publics sont moins bien administrés.

Marc-François Bernier, de l’Université d’Ottawa

Deuxième conséquence : la perte de visibilité sur des enjeux régionaux. « Les médias se font souvent l’écho des besoins et revendications locales, donc ça fait des déserts [médiatiques], renchérit M. Bernier. Ces gens-là deviennent moins importants dans la gestion des affaires publiques nationales. »

Selon Bruno Paradis, l’annonce de TVA a été un véritable « choc » pour les élus locaux.

« C’est primordial que les journalistes couvrent les régions, parce que sinon, on a des zones d’ombre, et il y a des gens qui vont en profiter, alerte-t-il. Les journalistes mettent au défi nos décisions [en tant qu’élus], et font valoir nos réalités quotidiennes, souvent éclipsées par les réalités des grands centres. »

Trou noir médiatique

Privée de présence médiatique nationale avant même les coupes chez TVA, la région des Laurentides connaît déjà ces problèmes, affirme Scott Pearce, président du Conseil des préfets et des élus des Laurentides.

« On a des enjeux comme les mines, la santé, mais on est quasiment ignorés, dénonce-t-il. On a déjà dû descendre à Montréal faire notre conférence de presse pour réussir à être entendus ! »

Or, les compressions de Québecor éteignent l’espoir d’une présence médiatique accrue dans la région. « Ça veut dire qu’il n’y aura jamais de TVA chez nous », déplore M. Pearce.

Pour Jacques Demers, président de la Fédération québécoise des municipalités, l’annonce de TVA est un coup dur, qui s’ajoute à la perte de nombreux journaux et hebdos locaux dans les dernières années.

« On ne peut plus appeler ça des craintes, parce qu’on la vit déjà, la perte des médias régionaux », lance-t-il.

Cet élu estrien se souvient de l’époque où un journaliste de La Tribune était affecté spécifiquement à sa MRC. « Il écrivait tous les jours sur des sujets qui nous touchent », note-t-il.

Maintenant, les gens vont avoir une opinion sur le transport en commun de Montréal, ou le tramway de Québec. Mais les problèmes locaux, des difficultés qu’on a dans des routes chez nous, dans nos banques alimentaires, on n’en parle pas.

Jacques Demers, président de la Fédération québécoise des municipalités

La perte de l’information locale – en quantité et en qualité – contribue aussi au clivage des discours, selon M. Demers

En effet, sur certains sujets locaux, les citoyens ne peuvent plus se fier à de l’information journalistique vérifiée. Ils doivent se contenter des opinions des uns et des autres. Et ça se traduit parfois par du harcèlement ou de la pression envers les élus, qui démissionnent en nombre record dans les dernières années, rappelle-t-il.

« [Les citoyens] ne sont pas des journalistes, ils n’ont pas de neutralité, souligne M. Demers. Le journaliste, lui, il va mettre les deux côtés de la médaille : celui qu’on veut entendre, et celui avec lequel on est moins d’accord. »

Une catastrophe

Il n’y a qu’un mot pour décrire la décision de TVA : « catastrophe », lance Gérald Savard, préfet de la MRC du Fjord-du-Saguenay.

Dans cette région, seuls quatre journalistes et deux caméramans de Groupe TVA resteront en poste, sur une équipe de 22. « Les journalistes, quand on les entend, ils nous font penser à des choses, à des idées. Ce sont des gens qui connaissent plein d’affaires. [Leur disparition], c’est une catastrophe pour la démocratie, pour la culture », estime M. Savard.

Une solution, selon le professeur Marc-François Bernier, serait la création d’un organe de presse québécois indépendant, mais public, qui aurait un mandat régional, par exemple par l’entremise de Télé-Québec. « Ça existe dans d’autres pays, comme la France, affirme-t-il. Et ce serait une façon pour l’État québécois de compenser pour un modèle économique [des médias privés] qui ne marche plus. »

L’histoire jusqu’ici

Février 2023 : Québecor annonce 240 licenciements, dont 140 chez Groupe TVA.

2 novembre 2023 : Pierre Karl Péladeau annonce le licenciement de 547 employés de Groupe TVA, soit près du tiers de ses effectifs.

De ce nombre, 300 personnes travaillaient à la production interne, 98 étaient liées majoritairement aux activités des stations régionales et 149 travaillaient dans d’autres secteurs.