Des séries télé comme Unité 9 et Orange Is the New Black se sont intéressées à la vie des femmes en prison. Mais derrière le filtre de la fiction, comment la vie « en dedans » se passe-t-elle réellement ? Dans cette série de chroniques, la détenue Viviane Runo* lève le voile sur le quotidien des femmes au pénitencier de Joliette.

Comme la terre entière, je dois m’incliner devant le monstre de la COVID-19, alors ceci est ma dernière chronique. Non pas que je n’aie plus rien à vous faire partager, chers lecteurs et lectrices, bien au contraire.

J’ai encore une pleine réserve de sujets tels que les seringues disponibles sur demande dans les pénitenciers ou les transgenres hommes/femmes pouvant être transférés, selon leur choix, dans un établissement correspondant à leur dysphorie sexuelle (donc dans un établissement féminin). Le contraire est possible sans qu’il ne soit sérieusement envisagé par les transgenres femmes/hommes de faire de même.

Aussi, j’aurais aimé parler du catalogue obligatoire des effets personnels des détenus, qui nous a été imposé depuis quelques années et qui propose ses articles au double et au triple du prix de leur valeur marchande. Auparavant, nous pouvions acheter nos produits manquants ou brisés chez deux fournisseurs différents. Votre téléviseur rendait l’âme, vous aviez la chance d’en trouver un nouveau en solde. 

En outre, il y a un thème encore plus cher à mon cœur : l’abrogation de la « clause de la dernière chance ». Sa révocation a été obtenue discrètement par le gouvernement Harper à deux jours de sa réélection (avec l’aide des libéraux). Cette révision judiciaire permettait aux personnes ayant commis un crime majeur de requérir, devant jury, une réduction du temps avant la demande de libération conditionnelle. Cette clause a été instaurée en 1976, après l’abolition de la peine de mort. Ainsi, on supprime les coûts d’un plus long emprisonnement pour un individu qui n’est plus un danger pour la société, tout en fournissant une surveillance extérieure à moindre coût.

Dépistage

Dans un autre ordre d’idées, voici une mise à jour de la situation de la COVID-19 entre les murs de l’établissement. Après plusieurs jours d’isolement et quelques faux pas, le service de santé a finalement fait passer des tests de dépistage du coronavirus aux détenues.

À la réception des résultats, les résidantes ayant été déclarées positives après leur test de dépistage ont reçu l’ordre de s’isoler immédiatement dans leurs chambres, tandis que les autres étaient déménagées dans des unités désinfectées. Déclarée négative, je pouvais suivre ce cirque de déménagement. Les agents correctionnels, en visière, masque et blouse jaune, aidaient les détenues à déménager. De tous côtés, des chariots remplis de sacs-poubelle passaient d’une unité à l’autre. Je n’ai jamais rien vu de pareil.

En fin de compte, malgré toute la bonne volonté du monde, minuit s’est pointé sans que les déménagements ordonnés ne soient terminés. Les dernières ont été déménagées le lendemain.

De plus, de nouvelles règles de vie en unité ont été instaurées. Même dans les unités où s’étaient réfugiées les femmes déclarées négatives, les nouvelles règles se sont avérées astreignantes. Nous devons rester en cellule, la porte fermée, pour chaque ronde d’unité ; nous devons obligatoirement porter le masque à l’extérieur de notre chambre et être seules dans les aires communes.

Naturellement, comme les déménagements ont été fort nombreux, il est devenu impossible pour le service alimentaire de suivre les va-et-vient des résidantes. Donc, la première semaine, dans l’attente d’une stabilisation de la situation, nous avons été nourries au plateau par le service alimentaire… Une semaine de tranche de pain le matin, de petit pain rond servi avec le repas du midi suivi d’un sandwich pour le repas du soir et je me suis sentie tel un pigeon urbain. Cela me fait apprécier notre mode de vie usuel.

La promesse d’un allègement des nouvelles règles et les menaces de punition sévère en cas de désobéissance ont incité les détenues à les suivre sans trop de tumulte.

Cependant, la réduction des contacts avec nos familles, l’absence de socialisation et la privation d’activité extérieure ont déclenché une sorte d’apathie chez les femmes. Elles passent beaucoup trop d’heures à dormir, ont des difficultés à entreprendre des activités créatives et même à rester intéressées à quelque chose. Nous ne vivons plus seulement l’emprisonnement de nos corps, mais l’emprisonnement de nos esprits… C’est la prison en prison !

Alors, lors de nos trop rares rencontres en unité, on se réconforte mutuellement en se rappelant que la crise de la COVID-19 est temporaire, tout en essayant d’oublier les conséquences négatives qui découleront de ce drame.

La suite

En ce qui me concerne, je remercie La Presse de m’avoir permis d’ouvrir une porte sur le monde secret de l’incarcération. Je remercie aussi tous mes lecteurs et lectrices pour les mots d’encouragement que vous m’avez envoyés. Cela m’a fait chaud au cœur. L’écriture de cette chronique a été pour moi une expérience des plus agréables.

Je me prépare à vivre un point déterminant de mon incarcération, ma révision judiciaire et, par la suite, la possibilité de demander une libération conditionnelle.

En attendant, je retourne à mes études en bureautique, à l’écriture de mes romans et à la recherche d’une maison d’édition pour publier mon premier suspense.

Alors je vous dis « bye-bye », chers lecteurs et lectrices. Gardons courage… ça va bien aller.

* Nom fictif pour conserver l’anonymat