« Bonsoir, elle est partiiiiie ! » Il y a des voix qu’on n’oublie pas, qu’on associe même à des sports. Pensez à Martin McGuire au hockey, à Hélène Pelletier au tennis, à Jacques Doucet au baseball.

Or, ces emplois de descripteurs ou de commentateurs sont-ils menacés ? Pour la première fois de son histoire, Wimbledon utilise l’intelligence artificielle pour décrire des matchs. Martin McGuire et Rodger Brulotte nous ont donné leur avis.

« Jabeur, classée 6e au monde, espère remporter la deuxième victoire de sa carrière contre Andreescu, classée 50e. » Ce n’est pas un humain qui décrit les moments forts du match entre la Canadienne et la Tunisienne sur le site web de Wimbledon. C’est un robot !

IBM, un commanditaire de longue date du tournoi, a annoncé en juin avoir développé des commentaires générés par l’intelligence artificielle. L’entreprise a nourri une machine avec des milliers de vidéos de tennis pour que le robot comprenne le vocabulaire et les subtilités du sport de raquette.

Même si le résultat n’est pas parfait, IBM espère un jour entendre les robots lors d’évènements diffusés à la télévision, à heure de grande écoute. « Cette introduction est une étape pour rendre ces commentaires disponibles, d’une manière excitante, pour des matchs autres que ceux de Wimbledon qui ont déjà des commentaires humains », a souligné l’entreprise dans un communiqué.

Il reste que les commentaires diffusés sur le site de Wimbledon sont généraux et peu approfondis. « Jabeur frappe un service près de la ligne et il est trop bon pour Andreescu. Elle remporte la manche », explique la narratrice androïde d’un ton neutre, avant la troisième manche.

Et il y a les voix qui sont à parfaire. The Atlantic a comparé celle du robot féminin à l’actrice Helen Mirren qui aurait reçu un coup de batte de cricket, et celle de l’homme à un oncle qui tenterait d’imiter Hugh Grant.

Ces balbutiements de la description de matchs par l’intelligence artificielle n’inquiètent pas vraiment, même pas du tout, Martin McGuire.

« Une machine, c’est sûr qu’elle ne se trompera pas, qu’elle ne bafouillera pas, mais je pense que les gens qui suivent un évènement sportif, ce qu’ils veulent, c’est d’être transportés par l’émotion », affirme celui qui décrit les matchs du Canadien de Montréal depuis 21 ans à la radio.

« Je pense qu’une machine ne pourra jamais remplacer ça », ajoute-t-il d’une voix presque mélodieuse à côté de celle d’un robot.

Martin McGuire cite l’exemple du cycliste canadien Michael Woods, qui a remporté la 9e étape du Tour de France, dimanche. « C’est vraiment exceptionnel, ce qu’il a réussi. Il part, il va chercher celui en avant de lui en pleine montée. Il le clenche, en bon québécois, et il n’y a rien de mieux qu’une voix humaine pour décrire tout ça », poursuit-il.

Le coloré Rodger Brulotte croit également que ses collègues n’ont pas à craindre pour leur emploi à la télévision et à la radio. « Avec l’intelligence artificielle, tu vas toujours obtenir le même style de description, mais tu n’entendras pas de passion. C’est bien beau, une voix générique, mais la passion. La passion ! », insiste-t-il avec vigueur.

Rodger Brulotte rappelle que des chaînes de télé ont déjà tenté de présenter du sport sans description ni commentaire. Le site de diffusion en continu Peacock a par exemple montré un match entre les Royals de Kansas City et les Tigers de Detroit au baseball, l’année dernière, sans commentaires. Les fans ont dû se contenter du son de la balle cognée dans le stade, de la voix de l’annonceur maison et des réactions de la foule. L’expérience s’est avérée un échec et n’a pas été reconduite.

Plus près de nous, Radio-Canada a également dû présenter La soirée du hockey sans description pendant la grève des journalistes et du personnel de production au début des années 2000. Les commentaires ont fait leur retour dès que le conflit de travail s’est réglé.

« Les commentateurs et les analyses, ça fait partie du spectacle ! Et le sport, c’est un spectacle ! », affirme Rodger Brulotte, qui a commenté les matchs des Expos de 1986 jusqu’au départ de l’équipe en 2004.

Martin McGuire soutient que l’un de ces défis, c’est de doser ses commentaires lorsqu’un joueur réalise un exploit. Il cite les arrêts brillants de Carey Price ou la performance de Marie-Philip Poulin pendant les Jeux olympiques.

« Ça s’appelle mettre son ego de côté. Les gens écoutent l’évènement sportif et ils veulent savourer la performance. Ma voix, c’est juste du coulis pour rendre le gâteau plus le fun. Ce n’est pas moi qui ai fait la passe sur le but gagnant », précise-t-il.

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Un ton descriptif

Milena Parent, professeure de gestion du sport et des évènements sportifs, est quant à elle convaincue que l’intelligence artificielle prendra de plus en plus de place dans la description des sports dans les prochaines années. Déjà, des bulletins de nouvelles sont lus par des robots, dit-elle.

Mais l’intelligence artificielle n’aura jamais le ton coloré et énergique d’un descripteur humain, nuance-t-elle. Du moins, pas à court terme. « L’humour… l’intelligence artificielle n’est vraiment pas bonne là-dedans », dit-elle en riant.

« L’intelligence artificielle, ça peut lire un évènement et décrire ce qu’elle voit. Gallagher a la rondelle, il patine vers le gardien adverse, il tire, il rate le filet. C’est très descriptif. On ne l’entendra jamais crier ‟buuuuut !” pendant une minute comme au soccer. On ne retrouvera pas l’énergie et l’émotion d’un annonceur », explique la professeure de l’Université d’Ottawa.

« Si on veut obtenir des commentaires plus poussés, plus colorés, de l’humour et de l’émotion, ajoute-t-elle, ça, c’est du domaine de l’humain. »