Le monde du tennis est entré dans une nouvelle ère. Celle des statistiques avancées. Autrefois saugrenues, mais aujourd’hui nécessaires, ce sont les données qui formeront dorénavant les plus grands champions.

Le tennis est un sport d’instinct, de sensation et de rapidité. Tous les joueurs en conviennent. Dans le livre Federer : le maître du jeu, de Christopher Clarey, le Suisse explique lui-même que ce qui a fait la différence entre les plus grands joueurs de l’histoire et les autres, c’est cette capacité à s’adapter en plein match.

Or, il y a maintenant une exception à la règle. Comme dans la majorité des disciplines, les statistiques avancées ont envahi la manière de diriger, d’analyser et de préparer les athlètes. Au grand plaisir des progressistes et au malheur des puristes.

Il y a trois ou quatre ans, lorsque les entraîneurs ont commencé à s’intéresser aux statistiques avancées, ils s’attardaient davantage à la manière de battre les adversaires. Environ 70 % des données recueillies servaient davantage à trouver leurs faiblesses. Aujourd’hui, c’est beaucoup plus près de 50 %, raconte Robby Ménard, entraîneur de tennis de haute performance, spécialiste des statistiques avancées et analyste à RDS.

Une autre immense différence, c’est qu’au commencement, les statistiques d’un joueur étaient comptabilisées une fois par année, en novembre pendant la saison morte. Dorénavant, c’est à chaque fin de cycle et changement de surface.

Les statistiques avancées ont véritablement pris d’assaut le monde du tennis depuis la fin de la pandémie. « C’est maintenant, c’est là. La plupart des équipes les utilisent», souligne Robby Ménard, qui a travaillé de près avec certains des meilleurs joueurs et des meilleures joueuses sur la planète. Des avis de confidentialité des clients font en sorte qu’il est impossible de révéler de qui il s’agit.

Étudier les tendances

La définition du sujet est plutôt simple: les statistiques avancées sont des données qui aident les joueurs à s’améliorer. Toutefois, les mettre en pratique est beaucoup plus ardu que de les expliquer de manière théorique.

Il y a différentes façons de citer des exemples d’utilisation des données, parce que chaque coup peut être analysé de nombreuses façons selon le contexte du match et de l’échange.

Pour simplifier l’explication, Ménard présente une situation de routine : « Prenons par exemple le coup droit croisé. Lorsque j’en fais deux de suite, je gagne le point 60 % du temps, ce qui serait énorme. Sauf que je réalise que mon adversaire a aussi un très bon coup droit croisé, vu son ratio. Je ferais donc mieux d’aller au revers. Ça va venir influencer les décisions en fonction de mon jeu, mais aussi en fonction de l’adversaire. »

Le spécialiste note que les meilleurs joueurs du monde ont deux, voire trois coups d’avance sur leurs adversaires, comme aux échecs.

Au-delà des probabilités de réussir certains coups, les tendances et les comportements sont aussi étudiés. Par exemple, au service, le coup le plus important de l’échange, les statistiques habituellement compilées sont les as, les doubles fautes, le pourcentage de points gagnés en première et deuxième balle et le pourcentage de premier service réussi. Au retour, il est souvent question des points gagnés en retour et du nombre de balles de bris.

Avec les statistiques avancées, l’analyse va plus loin. Au service, il est possible de savoir où le serveur a l’habitude de frapper ; au centre, au corps ou en sortant. Que ce soit au premier ou au deuxième service. On peut aussi compiler les tendances sur le deuxième coup du serveur. Par exemple, ce qu’il fait habituellement après que son adversaire lui retourne un service sortant. Certains joueurs savent que le match leur a glissé entre les doigts parce qu’ils n’ont pas fait sufisament d’enchaînements service-volée, ou bien parce qu’ils n’ont pas assez servi au corps.

Les statistiques avancées ont aussi fait grandement évoluer la position des joueurs en retour de service. Auparavant, comme les seconds services sont moins puissants que les premiers, les joueurs avaient tendance à se rapprocher de la ligne de fond. Aujourd’hui, avec les différentes tendances, les spécialistes ont calculé que les joueurs avaient avatange à reculer et à rester à une bonne distance en fond de terrain.

Les coups de prédilection

Le schéma peut paraître complexe et il l’est pour le commun des mortels. Il peut aussi être difficile à exécuter pour les joueurs, qui, eux, reçoivent une tonne d’informations. C’est pourquoi, pour rendre l’assimilation des données plus digeste, les équipes vont présenter habituellement cinq grandes lignes à suivre pour contrer l’adversaire. Parmi elles, trois vont prédominer : le service, le retour et le fond de terrain.

Certains adeptes des statistiques avancées, comme Novak Djokovic, qui en est un énorme consommateur, les veulent toutes. Plus il a de données, mieux il se porte. Or, il faut aussi que les joueurs respectent ce que Ménard appelle leur ADN.

« Certains me demandent comment Diego Schwartzman peut être encore sur le circuit. C’est parce que Schwartzman a peut-être la meilleure diagonale du revers au monde. Ce n’est pas juste qu’il remet des balles, c’est qu’il finit par te rendre fou par la constance et la qualité de son revers croisé. »

Même s’il demeure une discipline qui se joue sur des fractions de seconde, le tennis est en train de s’émanciper et les statistiques avancées apparaissent comme le nouveau joueur qui bouleverse les tendances. Celui qui pourrait servir de modèle d’ici quelques années.