À cinq kilomètres de Saint-Étienne, Guillaume Boivin est allé trouver Antoine Duchesne au milieu du peloton. « Je lui ai dit : “Heille, big, ils sont trois devant, et Hugo est là…” J’en avais la chair de poule ! »

Cela signifiait que Stefan Küng, le coéquipier de Duchesne, ne pourrait disputer la victoire après avoir passé la journée dans l’échappée.

« Dans ma tête, je cheerais pas mal plus pour [Hugo] que pour Küng, mais ça, il ne faut pas le dire ! », a rigolé Duchesne, vendredi après-midi, après la troisième place historique de Houle à la 13étape du Tour de France.

Houle a simplement rencontré plus fort que lui en la personne de Mads Pedersen, ancien champion mondial. Aux yeux de Duchesne, il s’en est fallu de peu pour que son ami puisse réaliser le rêve qu’il partageait avec son frère, mort dans un accident il y a près de 10 ans.

Je sais que Pierrik devait être là-haut à le regarder tout le long. Son rêve est d’aller chercher une victoire pour lui. Mais je pense que la troisième place, ça ne doit pas être loin dans son cœur. C’est extrêmement mérité.

Antoine Duchesne

Dix-septième de l’étape, à cinq minutes du gagnant, Boivin a savouré par procuration la prestation de son coéquipier d’Israel-Premier Tech (IPT).

« Hugo est dans une forme extraordinaire. Je suis très fier et content pour lui. C’est vraiment une belle journée pour Israel-Premier Tech, pour Hugo et pour le Québec aussi. On n’a pas vu ça souvent. »

Boivin a lui-même terminé neuvième de la grande classique Paris-Roubaix, l’an dernier. En 2013, David Veilleux a remporté la première étape du Critérium du Dauphiné, où il a porté le maillot jaune pendant trois jours. Cet exploit lui a valu une invitation pour le Tour de France, une première pour un natif du Québec.

Cette année, ils sont trois cyclistes québécois sur le 109Tour, un sommet historique. Si Houle a fait briller les couleurs fleurdelysées vendredi, ce qui lui a valu les félicitations du premier ministre François Legault sur les réseaux sociaux, ses deux amis ont contribué à leur façon à ce numéro.

Durant le bilan d’après-course dans l’autobus d’IPT, formation israélo-québécoise, Houle a pris la parole pour souligner l’apport de ses équipiers, en particulier de « G », surnom de Boivin.

« C’est Guillaume qui contrôlait les échappées sur les premiers 27 kilomètres où c’était tout plat, a dit Houle. Il devait garder le groupe ensemble pour que je puisse faire la différence dans la première montée. Il réalise le travail qu’on ne voit pas tout le temps. C’est aussi un travail d’équipe pour que je puisse prendre l’échappée. »

Duchesne, lui, a convaincu son ami de s’économiser dans les Alpes afin de pouvoir s’exprimer dans les étapes pour « baroudeurs » comme celle de vendredi.

« Hugo a tendance à s’accrocher et à toujours forcer un peu. Il a de la misère à se relever. Je lui ai dit : “Les deux prochaines étapes de montagnes, tu sais que tu ne vas pas les gagner. Même dans une échappée, tu vas toujours rencontrer un grimpeur plus fort que toi. Même si tu es capable de finir 30e, on s’en fout. Relève-toi, ne gaspille pas d’énergie.” »

Duchesne et Boivin ont souligné combien la présence de Houle dans ce groupe de haut calibre était méritoire.

PHOTO CHRISTIAN HARTMANN, REUTERS

Hugo Houle (à gauche) à l’avant du groupe de l’échappée durant la 13e étape entre Le Bourg d'Oisans et Saint-Etienne, vendredi

« Ça roulait très vite, c’était dur, il y avait beaucoup de monde qui voulait être devant, a dit Duchesne. C’était une échappée de machines. »

« Quand ces gars-là sont devant, ça veut dire que ça a bagarré extrêmement fort pour être dans l’échappée, a renchéri Boivin. Il fallait être très costaud pour être là. »

Le directeur sportif Steve Bauer, qui a suivi Houle dans la voiture d’IPT, n’a « jamais pensé » au fait que son protégé pourrait le rejoindre comme seul vainqueur d’étape canadien au Tour (1988).

Je visais certainement la victoire, c’est la raison pour laquelle on est ici. Je faisais tout ce que je pouvais pour lui donner une chance de gagner. Et il courait pour gagner, ça ne fait aucun doute. Mais quand tu es accompagné des meilleurs au monde… C’est la course de vélo, rien ne t’est servi sur un plateau d’argent. Il a eu une excellente chance aujourd’hui et il a réussi une course fabuleuse en se classant troisième. Il peut en être super fier.

Steve Bauer, directeur sportif d’Israel-Premier Tech

Comme il l’a affirmé à La Presse à Copenhague avant le début du Tour, Bauer est persuadé que Houle a le potentiel d’enlever une étape cette année.

« Il est au sommet de sa forme et ce n’était qu’une question de temps avant qu’il se glisse dans une échappée très forte. Il s’agit de voir avec qui tu te retrouves dans l’échappée. »

Selon le directeur sportif, Houle devrait aider ses coéquipiers samedi et jouer sa carte une nouvelle fois, dimanche, entre Rodez et Carcassonne. Le Québécois aurait également coché une étape pyrénéenne.

Un « avant-goût »

Houle a fait vibrer ses parents vendredi. Résidants de Drummondville, ceux-ci ont d’abord appris que leur fils avait pris l’échappée avant de sauter dans leur auto pour un rendez-vous médical à Montréal. Sur la route, ils ont constaté que l’écart avec le peloton ne grimpait pas beaucoup… Ils ont suivi la fin de l’étape dans la clinique sur une tablette numérique qui se déchargeait dangereusement… « On a réussi à voir toute la fin, même quand il a félicité [Mads] Pedersen, a raconté sa mère, Diane Allard. On était tout énervés. On ne peut pas demander mieux. Hugo est tellement discipliné. Il met toute son énergie pour le faire. » Hugo a trouvé le temps d’appeler ses parents peu après l’arrivée. « Il a dit qu’il n’était pas si fatigué. Ça veut dire que la forme s’est beaucoup améliorée. Quand Hugo a quelque chose dans la tête, il l’a dans la tête. Il va l’atteindre, son objectif. Ce n’était pas pour aujourd’hui. Aujourd’hui, ce n’était qu’un avant-goût… »