Une minute, Oleksandr Torop buvait du café avec ses collègues d’un magasin d’électronique d’un centre commercial du centre de l’Ukraine. La suivante, il courait pour sauver sa vie, au milieu des débris. Et s’il a survécu au bombardement russe qui a fait 18 victimes et au moins 40 disparus lundi, plusieurs de ses collègues n’ont pas eu cette chance.
« C’était le chaos », témoigne à La Presse Oleksandr Torop, un survivant de la bombe qui a réduit en cendres le centre commercial Amstor, situé au sud de la petite ville de Krementchouk, au centre de l’Ukraine, lundi.
Sorti du bâtiment quelques minutes avant l’explosion, l’homme de 31 ans s’est réfugié – comme chaque fois que les sirènes d’alerte résonnent dans sa ville natale – dans un petit parc bordant le stationnement du centre commercial.
« Tout est devenu silencieux », raconte-t-il en ukrainien lors d’une entrevue Zoom, traduite par Tetiana Karpova, qui vit à Montréal. « Puis il y a eu une gigantesque explosion, les débris se sont mis à voler dans le ciel. Et on s’est mis à courir pour notre vie. »
Avec une collègue, M. Torop s’est réfugié dans le sous-sol d’un hôtel adjacent, dont les vitres avaient éclaté sous la force de l’impact. Une alarme de feu, probablement déclenchée par l’explosion, a retenti dans l’abri anti-bombes. Ils sont donc ressortis et se sont enfuis dans les rues résidentielles.
Tout le monde courait dans tous les sens dans les rues, en pleurant. Tout le monde criait les noms de ceux qu’ils ne trouvaient pas.
Oleksandr Torop
Face au chaos
À plus de 500 mètres du centre commercial, M. Torop a trouvé des reçus de caisse de Comfy – le magasin où il travaille – au milieu de débris soufflés par l’explosion. C’est à ce moment qu’il a compris que le centre commercial avait été ciblé par la frappe.
Jusqu’à présent, la petite ville de quelque 220 000 habitants avait été relativement épargnée par la guerre. Aucune infrastructure civile – comme des habitations – n’avait été touchée par des frappes russes, selon plusieurs témoignages.
Le centre commercial Amstor était un lieu très achalandé, adjacent à une gare de train et à de multiples arrêts d’autobus, décrit M. Torop. « C’était juste un jour ordinaire, où il y avait beaucoup de personnes en train de magasiner ou dans les cafés. Il y avait des aînés, des enfants… »
Lundi, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a estimé qu’au moins 1000 civils se trouvaient à l’intérieur du bâtiment au moment de l’attaque. Ce bombardement est « l’un des actes terroristes les plus éhontés de l’histoire européenne », a dénoncé le président, demandant que la Russie soit désignée comme « État parrain du terrorisme » après cette frappe sur « une ville paisible ».
Mardi, Volodymyr Zelensky a aussi suggéré au Conseil de sécurité de l’ONU d’envoyer une commission d’enquête pour prouver que ce centre commercial avait été détruit par un missile russe. La Russie affirme avoir bombardé un dépôt d’armes et non une installation civile.
Porter secours
Un peu plus tard lundi, Oleksandr Torop a décidé de revenir sur ses pas pour porter secours aux survivants. « Mais à l’approche du centre commercial, il n’y avait pas d’air, c’était impossible de respirer, déplore-t-il. J’ai réalisé que sans équipement de protection, ce ne serait pas possible d’aider. »
À sa connaissance, au moins un collègue immédiat a perdu la vie, quatre sont hospitalisés et neuf autres sont toujours portés disparus dans les décombres. Les victimes sont difficilement identifiables sans test d’ADN, en raison d’importantes brûlures. Et des survivants pourraient être encore terrés dans le sous-sol du bâtiment.
Une deuxième frappe tout près
Une deuxième frappe, qui n’a fait aucune victime, a aussi touché une usine du même district en fin de journée lundi.
Natalia Bondarenko en a été témoin : elle se trouvait à environ 1,5 kilomètre quand la bombe a explosé.
Les gens autour sont tombés à genoux. Les alarmes des voitures ont été déclenchées, et les vitres des immeubles ont éclaté. Moi, j’ai figé.
Natalia Bondarenko
Le choc l’a poursuivie jusque chez elle. « En rentrant, ma mâchoire était engourdie, je ne pouvais pas parler ou manger, témoigne la femme de 39 ans en entrevue Zoom avec La Presse. Je n’ai pas dormi de la nuit, je n’ai fait que regarder les nouvelles. »
Un état qui ne l’a pas empêchée de ressortir dans la soirée pour aller donner du sang, dans l’espoir d’aider les victimes du bombardement du centre commercial.
Colère, impuissance, douleur : Natalia Bondarenko tout comme Oleksandr Torop ne trouvent pas les mots pour décrire ce qu’ils ressentent. « Personne ne sait comment arrêter cette foutue guerre », rage M. Torop.
Avec l’Agence France-Presse