(Paris) Les Français se rendent aux urnes ce dimanche pour le second tour de la présidentielle. Emmanuel Macron sera-t-il réélu, comme le prévoient les sondages ? Ou assistera-t-on à la surprise Marine Le Pen ? Que retenir de la campagne de l’entre-deux-tours qui vient de s’achever ? La Presse fait le point alors que s’amorce le scrutin.

Grosse fatigue

Est-ce dû aux personnalités des deux candidats ? À leurs programmes ? Au contexte général ? Toujours est-il que cette campagne d’entre-deux-tours n’a pas déchaîné les passions. L’abstention au premier tour a été de 26 % – presque un record – et on n’annonce pas beaucoup mieux pour le second. Quant au débat télévisé, il n’a attiré que 15,6 millions de téléspectateurs, soit 1 million de moins qu’en 2017 et très loin du 30 millions de 1981 lors du débat entre Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand. « Que ce soit dans les urnes ou derrière les écrans, on sent bien que les élections présidentielles ont de plus en plus de mal à susciter l’intérêt, l’implication, l’engagement des citoyens », tranche Olivier Ihl, professeur de politique à l’Université de Grenoble. Selon l’expert, cette « dynamique de fond » s’explique par une « usure des institutions » de la Ve République, combinée à une conjoncture particulière (COVID-19, guerre en Ukraine) et une lassitude généralisée des Français. « Les gens ont la tête ailleurs. Ils ont perdu un peu le goût pour les questions politiques. »

Sortir du bois

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Le président-candidat Emmanuel Macron sourit, interrogé par des journalistes alors qu’il marche dans les rues de Le Touquet–Paris-Plage, à la veille du second tour.

Chacun avait fait une campagne plutôt sous les radars jusqu’au premier tour du 10 avril. Lui parce que trop occupé à gérer la guerre en Ukraine, elle en raison d’un travail de terrain mené à bas bruit. Mais le second tour a été une autre histoire. Pour le meilleur et le moins bon, Emmanuel Macron et Marine Le Pen ont sauté dans le ring à pieds joints pour vendre leurs programmes diamétralement opposés. Européanisme et multilatéralisme pour lui. Souverainisme et repli identitaire pour elle. « Cette campagne d’entre-deux-tours les a obligés à sortir du bois, résume Caroline Vigoureux, journaliste politique à l’Opinion. Je pense que le débat de mercredi a spécialement eu ce rôle de révéler qui ils étaient vraiment. On a vu chez Macron un candidat qui maîtrisait ses dossiers, qui sortait de plusieurs crises, quitte à avoir ce côté plus technocrate et distant. On a vu chez Marine Le Pen une candidate populiste, qui a encore des lacunes dans la manière qu’elle a de défendre ses idées. Elle a dû s’exposer davantage, ce qui l’a heurtée à des difficultés et lui a fait perdre quelques points… »

Marine Le Pen peut-elle l’emporter ?

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La candidate à la présidentielle du Rassemblement national, Marine Le Pen (au centre, veston bleu), lors d’un évènement de campagne à Berck-sur-Mer, dans le nord de la France

Peu probable. Jusqu’ici, tous les sondages donnent Emmanuel Macron gagnant avec plus ou moins 53 % des voix. La marge est toutefois plus serrée qu’en 2017, alors que « Manu » l’avait emporté par un confortable score de 66 % contre 34 %. Marine Le Pen possède un maigre réservoir de voix (les 7 % de l’électorat d’Éric Zemmour). Mais elle peut encore profiter d’une forte abstention de l’électorat de gauche qui se serait potentiellement rabattu sur Emmanuel Macron (voir capsule suivante). « Il ne suffit pas que Mme Le Pen suscite de l’adhésion. Il faut aussi que son adversaire perde en mobilisation », résume Olivier Ihl. Ce cas de figure est envisageable si les sondages sont trop avantageux pour Macron, ajoute le politologue Jean Petaux. « Si tout le monde dit que c’est gagné pour Macron, une partie de l’électorat non macroniste qui se serait mobilisé pour faire barrage à Marine Le Pen pourrait tout simplement décider de rester à la maison », dit-il, évoquant une « prophétie autoréalisatrice inversée ». Macron a par ailleurs été si dominant lors du débat que cela pourrait se retourner contre lui. « Si les médias répètent pendant trois jours qu’il a été arrogant, ça peut réveiller des traits négatifs. En France, on déteste ceux qui réussissent. C’est complètement idiot. C’est comme si on reprochait à Mbappé ou Benzema [deux vedettes du soccer français] de marquer des buts. »

La clé est à gauche

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Affiches des candidats au premier tour, qui s’est déroulé le 10 avril dernier, lors duquel le taux d’abstention a été de 26 %

Comment se répartiront les 7,7 millions d’électeurs de gauche qui ont voté pour Jean-Luc Mélenchon au premier tour ? Voilà bien toute la question. Selon les sondages, 24 % pourraient se reporter sur Marine Le Pen, 33 % pourraient s’abstenir ou voter blanc et 43 % pourraient voter Macron pour faire barrage à l’extrême droite. Mais rien n’exclut une démobilisation de dernière minute dans ce groupe si la victoire de Macron semble acquise.

« Si les 43 % qui s’apprêtent à voter Macron chutent au profit de l’abstention, à un moment donné vous avez un point de bascule et c’est Le Pen qui gagne », tranche le politologue Thomas Guénolé. Scénario peu probable, mais possible, vu le côté imprévisible de cet électorat, composé de socialistes, de Verts, de mélenchonistes et de communistes. « On voit qu’il est assez hétéroclite, avec un comportement électoral qui n’est pas uniforme. Ils vont chacun aller dans des directions différentes », explique Caroline Vigoureux.

Jean-Luc Mélenchon premier ministre ?

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Jean-Luc Mélenchon, candidat de La France insoumise, au Festival du livre de Paris

La présidentielle n’est pas jouée que, déjà, tous les regards sont tournés vers les législatives du mois de juin. Ce « troisième tour », comme l’appellent certains, achèvera de composer le paysage politique français pour les cinq prochaines années. Éliminé au premier tour avec 22 % des voix, à peine 400 000 de moins que Marine Le Pen, le candidat de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, a appelé cette semaine à une alliance à gauche qui pourrait donner la majorité à son parti et lui permettre de prétendre au poste de premier ministre. « C’est très ambitieux. Il veut battre le fer quand il est chaud. C’est un coup habile de sa part », estime Caroline Vigoureux. Habile, mais peu probable. Il faudrait que ce « front populaire de gauche » remporte 377 sièges sur 577, un défi considérable. « Pour que cette stratégie fonctionne, ça supposerait que les listes de La France insoumise soient soutenues par toutes les autres formations de gauche, observe Olivier Ihl. Or, on sait bien que les écologistes et les socialistes auront beaucoup de mal à faire alliance avec Jean-Luc Mélenchon. C’est peu crédible. Il est plus probable que la gauche soit aussi divisée pour les législatives qu’elle l’a été pour le premier tour. »