Le président Vladimir Poutine a dénoncé mercredi des tentatives de semer la discorde en Russie, au moment où le pays pleure les victimes et s'indigne de l'incendie particulièrement meurtrier d'un centre commercial en Sibérie.

Trois jours après ce drame qui a fait au moins 64 morts, dont 41 enfants, les autorités semblent s'inquiéter de la colère manifestée ouvertement par certains, sur les réseaux sociaux ou dans la rue, choqués face à la négligence criminelle ayant permis que des enfants se retrouvent bloqués dans des salles de cinéma fermées à clé, tandis que le système d'alarme incendie était en panne.

Vingt-deux victimes ont été enterrées mercredi à Kemerovo, ville industrielle de 550 000 habitants où a eu lieu le drame dimanche et où des centaines de personnes s'étaient rassemblées mardi pour exprimer leur douleur et leur colère, certaines appelant à la démission des autorités locales.

Le gouverneur de la région, Aman Touleïev, titulaire de son poste depuis 1997 et mis en cause par les protestataires, s'en était alors pris à ces «opposants» venus selon lui «faire leur publicité sur le dos de la tragédie».

Vladimir Poutine, qui s'est rendu à Kemerovo pour rencontrer des rescapés et s'entretenir avec les responsables locaux, a dénoncé mercredi «des publications sur les réseaux sociaux, y compris depuis l'étranger, destinées à semer la panique, à semer la méfiance, à monter les gens les uns contre les autres».

«Nous ne pouvons accepter de telles choses en aucune circonstance», a-t-il ajouté, avant d'exiger une enquête «totalement objective et transparente» sur l'incendie.

Les autorités russes ont annoncé mercredi avoir ouvert une enquête pour «incitation à la haine» contre un citoyen ukrainien, Nikita Kouvikov, connu pour ses canulars téléphoniques, qui a diffusé sur internet de faux enregistrements audio faisant état de plusieurs centaines de victimes dans l'incendie.

Le principal opposant au Kremlin, Alexeï Navalny, a pour sa part accusé les autorités de chercher un bouc émissaire à l'étranger plutôt que de regarder en face la corruption qui a selon lui permis à ce drame d'arriver.

Des rumeurs insistantes font état sur internet depuis dimanche d'un nombre de victimes plus élevé qu'annoncé officiellement, suscitant l'irritation des autorités locales.

Cinq personnes ont été placées en détention provisoire dans le cadre de l'enquête sur l'incendie, dont des responsables du centre commercial, la personne responsable du réseau électrique et un membre de la sécurité qui n'a pas déclenché le système d'alerte dimanche.

Possible court-circuit

Le dernier bilan donné par le vice-ministre des Situations d'urgence, Vladlen Aksionov, est de 64 morts.

«Il n'y a pas de disparus», a ajouté M. Aksionov alors que le Comité d'enquête, instance chargée des grandes affaires criminelles, indiquait mardi soir avoir dressé une liste de 67 disparus.

L'identification des victimes, beaucoup ayant brûlé vif dans un brasier où les températures ont atteint 600 °C, est très difficile.

La liste des morts, rendue publique par les autorités locales, donne une idée de l'ampleur du drame: la plus jeune victime était un garçon de deux ans, et dix-neuf enfants de moins de 10 ans ont également péri. Une classe de Trechtchevski, un village proche de Kemerovo, a perdu la moitié de ses élèves dans l'incendie.

Autre victime, Elena Vostrikova avait 30 ans. Ses trois enfants de 7, 5 et 2 ans et sa belle-soeur de 23 ans sont également morts dans l'incendie. Les images de son mari Igor Vostrikov, qui a eu des échanges vifs avec le vice-gouverneur de la région Sergueï Tsiviliov, font le tour d'internet en Russie depuis mardi.

Plusieurs centaines de personnes ont participé mercredi aux funérailles d'une femme de 57 ans, Nadejda Agarkova, et de ses deux petits-enfants de 8 et 10 ans, Konstantin et Maria, morts dans la salle de cinéma.

Selon des sources citées par les agences de presse russes, Aman Touleïev a renvoyé mercredi un vice-gouverneur, Alekseï Zelionine, et la responsable du département des Affaires politiques, Nina Lopatina.

Plusieurs journaux, notamment les quotidiens économiques Kommersant et RBK, sont parus mercredi en noir et blanc, tandis que le tabloïd Komsomolskaïa Pravda a publié sur sa Une et sa dernière page une mosaïque de photos des victimes.

La cause de l'incendie n'est toujours pas connue, mais, selon les autorités, un court-circuit reste l'explication la plus vraisemblable.

Le Comité d'enquête a indiqué mercredi que les investigations sur les circonstances de l'incendie de Kemerovo pourraient durer près de trois mois.

Tous les ans, de nombreuses personnes périssent dans des incendies en Russie, souvent en raison d'une application laxiste des règles de sécurité. Selon les médias russes, cet incendie est l'un des quatre plus meurtriers du pays de ces 100 dernières années.

Des témoignages glaçants

Des enfants enfermés à clé dans une salle de cinéma, une alarme incendie qui ne se déclenche pas: des témoins de l'incendie dimanche d'un centre commercial à Kemerovo, en Sibérie, dénonçaient mercredi les coulisses d'un drame qui a bouleversé la Russie.

Une salle de cinéma fermée à clé

Parmi les victimes, 41 étaient des enfants et adolescents, dont beaucoup s'étaient rendus au cinéma du centre commercial pour voir un dessin animé.

Lorsque l'incendie s'est déclaré, ils se sont retrouvés au piège dans la salle de cinéma dont les portes avaient été fermées à clé, selon de nombreux témoignages.

Alexandre Ananiev venait de déposer ses trois filles au cinéma quand une de ses filles l'a appelé: «Papa, on dirait qu'il y a un incendie! On ne peut pas sortir!», a-t-elle crié.

Il a alors couru vers la salle, mais des vigiles l'ont empêché de passer, a-t-il raconté au quotidien Moskovski Komsomolets. «Mes filles sont là», a hurlé le père, mais les vigiles n'ont pas fléchi.

«Toute la salle est restée assise, on attendait de l'aide. Pendant 15 minutes on a attendu. Ensuite nous avons compris qu'il ne servait à rien d'attendre, il fallait tenter de fuir», a expliqué à l'agence RIA Novosti Mikhaïl Troussov, dont les deux filles sont mortes dans l'incendie.

«Les enfants ont été piégés dans la salle enfumée», a dénoncé Irina Ivantchik, dont le fils Artem, 10 ans, a été tué.

Avant de mourir, certains enfants ont eu le temps de parler avec leurs parents, relatent les médias russes. «Cette voix d'enfant au téléphone: "Je n'arrive plus à respirer, j'étouffe" (...) je ne souhaite à personne de le vivre», a raconté au site Lenta.ru Alexandre Kalatchev.

Pas d'alarme incendie

«Il n'y a eu aucune alarme. J'ai compris que c'était un incendie quand une fumée a commencé à se répandre», a confié une employée d'un salon de manucure à la chaîne de télévision LifeNews!.

«Il n'y a eu aucune alarme incendie, les gens ont commencé à courir en criant "au feu"», a renchéri Denis Sokolov, tandis que Nika, 12 ans, a dit à LifeNews! «avoir cru que c'était une fausse alarme».

Témoignant devant un juge, un vigile du centre commercial a affirmé «avoir constamment signalé à la direction qu'il y avait des violations en termes de règles de sécurité».

«Certaines alarmes ne fonctionnaient pas, d'autres fonctionnaient. Les issues de secours étaient toujours encombrées. Nous le disions sans cesse mais personne ne nous écoutait», a-t-il accusé, selon LifeNews!.

Panique et cris

Quand il a été clair qu'un incendie se propageait, «il y a eu une grande cohue, les gens se bousculaient», a raconté Denis Sokolov sur le réseau social Vkontakte.

«On entendait clairement les hurlements des enfants, ils appelaient leurs mamans, c'était des cris qui vous fendaient le coeur», a-t-il décrit. «La fumée était très épaisse, les enfants pleuraient, toussaient et leurs parents criaient.»

Après avoir sauvé deux enfants, Denis Sokolov a voulu entrer à nouveau dans le centre commercial pour aider, mais «un homme, peut-être un vigile, nous a interdit de passer.»

Des photos postées sur le réseau social russe Vkontakte ont montré un adolescent sautant par une fenêtre du 3e étage. Selon plusieurs médias russes, des parents ont jeté leurs enfants par les fenêtres du centre commercial pour qu'ils échappent aux flammes. Plusieurs sont actuellement hospitalisés, dans un état grave.

Dans la rue, «des parents sanglotaient et appelaient leurs enfants, et en haut, les enfants appelaient leurs parents», se souvient-il. «L'horreur, ce n'était pas l'incendie ni la peur, mais ces cris d'enfants en train de mourir et les hurlements d'impuissance de leurs parents...»

REUTERS

Parmi les victimes, 41 étaient des enfants et adolescents, dont beaucoup s'étaient rendus au cinéma du centre commercial pour voir un dessin animé. Lorsque l'incendie s'est déclaré, ils se sont retrouvés au piège dans la salle de cinéma dont les portes avaient été fermées à clé, selon de nombreux témoignages.