Il y a quelques mois, l'heure était à l'échange d'invectives. Aujourd'hui les présidents turc Recep Tayyip Erdogan et russe Vladimir Poutine ont noué une alliance d'hommes forts qui narguent l'Occident.

Au plus fort de leur crise née de la destruction par la Turquie d'un avion russe au-dessus de la frontière turco-syrienne en novembre 2015, M. Poutine a accusé son homologue turc de faire du trafic de pétrole avec des djihadistes et de faire « se retourner dans sa tombe » le fondateur de la Turquie moderne, Atatürk.

M. Erdogan rétorquait en imputant au maître du Kremlin des « crimes de guerre » en Syrie.

Mais un an après, cette page semble définitivement tournée et les échanges acerbes ont laissé place à des projets de coopération énergétiques en dépit de désaccords sur la Syrie où MM. Poutine et Erdogan soutiennent des camps opposés, le premier le régime d'Assad et le second l'opposition qui cherche à le renverser.

En 2016, les deux dirigeants post-impérialistes - deux jeunes soixantenaires qui ont pris le pouvoir au début des années 2000 dans des pays au bord du gouffre économique - ont défié l'Europe et les États-Unis tout en affrontant chez eux des problèmes économiques croissants.

« Zone de danger »

Au cours de ces dernières années - principalement après l'annexion de la Crimée par la Russie en 2014 - M. Poutine a dû composer avec la froideur que l'Occident affiche à son égard et a été exclu du G8, le club des grandes puissances.

L'intervention en Syrie et une répression accrue de la société civile russe, n'ont fait que creuser le gouffre.

M. Erdogan a, pour sa part, été choyé pendant ses premières années au pouvoir par ses pairs comme un réformateur islamique qui n'hésitait pas à faire passer d'audacieuses réformes et paraissait attaché aux orientations occidentales de son pays.

L'année écoulée a toutefois marqué un probable tournant pour la Turquie, pas seulement dans ses relations avec l'Occident, mais dans son Histoire moderne même.

« Pour l'Occident, la Turquie est entrée dans une zone de danger avec des risques multiples », explique Marc Pierini, professeur invité à Carnegie Europe.

« Mieux que jamais »

Le coup d'État manqué mené par des militaires factieux le 15 juillet a bouleversé la situation politique du pays ainsi que ses relations extérieures.

Ankara a été heurté par ce qu'il a perçu comme un manque de solidarité des dirigeants européens puis dépité par les critiques européennes au sujet des purges de l'après-putsch raté.

La quête de la Turquie de rejoindre l'Union européenne - pierre angulaire de sa politique étrangère depuis les années 1960 - s'est heurtée à un mur, certains analystes suggérant qu'il serait plus réaliste de l'abandonner complètement pour trouver une autre forme de partenariat.

Mais avec la Russie, c'est la lune de miel.

Ainsi la Russie a eu beau s'activer aux côtés du régime syrien pour reprendre la ville d'Alep, Ankara s'illustre par un silence assourdissant.

« Nous nous comprenons maintenant mieux que jamais » à propos de la Syrie, a ainsi déclaré le premier ministre turc, Binali Yildirim, après une visite à Moscou ce mois-ci.

« Ce n'est pas dans l'intérêt de l'Europe que la Turquie se tourne vers l'axe russe, qu'elle devienne instable ou entre dans une crise économique », met en garde Asli Aydintasbas du Conseil européen des relations internationales.

« Prisonniers dans 780 000 km2 »

M. Poutine a récupéré à son arrivée au pouvoir un pays traumatisé par la chute de l'Union soviétique et aspirant à voir Moscou respecté comme une puissance majeure.

Dans la Turquie d'Erdogan, beaucoup rêvent encore du temps où le Sultan ottoman était le calife de l'ensemble du monde islamique.

L'homme fort russe, qui a décrit la chute de l'URSS comme la pire tragédie géopolitique du 20e siècle, n'a fait aucun compromis dans sa volonté de restaurer l'influence russe et de rappeler au monde son statut de « grande puissance » dans le conflit syrien.

Entretemps, M. Erdogan a clairement exprimé que l'influence turque doit s'étendre bien au-delà de ses limites modernes, remettant même en cause le traité qui a établi ses frontières actuelles après la Première Guerre mondiale.

« Nous avons été séparés de ce territoire depuis un siècle... nous sommes prisonniers dans 780 000 kilomètres carrés », a-t-il affirmé.

La popularité dont ils jouissent dans leur pays n'a toutefois pas été construite qu'en redonnant confiance à des nations secouées par la chute de leur empire, mais aussi en remplissant les poches de leurs électeurs de livres turques et de roubles.

Cependant, le miracle économique de M. Poutine a du plomb dans l'aile et la croissance forte qui a été la marque de l'ère Erdogan s'essouffle.

« Nous pensons toujours que la Turquie va affronter une crise bancaire ou de croissance dans le moyen terme », analyse Charles Robertson, économiste en chef de Renaissance Capital.