Le Vatican traîne les pieds pour approuver le prochain ambassadeur de France parce qu'il est gai. Ce n'est pas la première fois que la France croise le fer avec le Saint-Siège sur cette question. En 2008, deux ambassadeurs avaient été refusés, l'un parce qu'il était divorcé et remarié, l'autre parce qu'il était dans une union civile homosexuelle. Quatre mots pour comprendre le litige.

Retour de foi

L' «agrément» de Laurent Stefanini par le Vatican traîne depuis janvier. Au départ, rien ne semblait présager que le nouvel ambassadeur au Saint-Siège serait refusé: catholique pratiquant depuis sa confirmation en 1991 à l'âge de 31 ans, il avait reçu l'appui des cardinaux français. M. Stefanini, qui est célibataire et sans enfant, avait travaillé à l'ambassade de France au Vatican entre 2001 et 2005 et était estimé de ses vis-à-vis ecclésiastiques, rapportent plusieurs vaticanistes. Tout à l'opposé de Jean-Loup Kuhn-Delforge, l'ambassadeur homosexuel en union civile qui avait été refusé par le Vatican en 2008. Le pape François a d'ailleurs pris la peine de rencontrer personnellement M. Stefanini samedi dernier pour lui expliquer qu'il avait les mains liées et ne pouvait accepter sa nomination par Paris, selon l'hebdomadaire français La Croix.

Pape

Selon Sandro Magister, le vaticaniste de l'hebdomadaire Espresso, M. Stefanini est victime d'une lutte de pouvoir interne au Vatican. L'ouverture du pape François envers les homosexuels - à propos desquels il a notamment déclaré «qui suis-je pour juger?» - n'y fait pas l'unanimité. M. Magister cite également la nomination d'un prélat fortement soupçonné d'avoir entretenu des relations homosexuelles, Battista Ricca, à la tête de la banque du Vatican (IOR). Mercredi, Bernard Kouchner, ministre français des Affaires étrangères entre 2007 et 2010, a d'ailleurs fait allusion aux rumeurs d'homosexualité de nombreux hauts placés du Vatican: «Le Vatican me semble mal placé pour refuser les homosexuels.» La fin du pontificat de Benoît XVI avait été marquée par de nombreux scandales attribués par M. Magister et d'autres vaticanistes italiens à des rivalités entre des «lobbys gais».

Divorce

Le Vatican refuse généralement les catholiques remariés comme ambassadeurs, selon John Allen, le vaticaniste du site américain Crux. «Pour cette raison, de nombreux pays nomment des non-catholiques», dit M. Allen. Avant le refus de la nomination de M. Kuhn-Delforge en 2008, le Vatican avait d'ailleurs refusé la nomination d'un catholique divorcé et remarié. Dans le même registre, une loi française autorisant le mariage homosexuel depuis 2013 s'est retrouvée mêlée à l'affaire Stefanini. L'hebdomadaire françaisLeJournal du dimanche a affirmé au début d'avril que Ludovine de La Rochère, la présidente de «Manif pour tous», un groupe d'opposition à la loi sur le mariage homosexuel, serait personnellement intervenue auprès du Vatican pour faire dérailler la nomination de M. Stefanini. Elle a nié l'information, mais la possibilité d'une autre lutte intestine, celle-là au sein de l'Église française, flotte toujours.

Femmes

Des observateurs ont fait un parallèle avec un débat lancé en 2013 par Shirin Ebadi, une avocate iranienne qui a reçu en 2003 le prix Nobel de la paix. Mme Ebadi avait appelé les pays occidentaux à nommer des ambassadrices à des pays musulmans conservateurs comme l'Iran ou l'Arabie saoudite. Sur son blogue, le journaliste slovaque Andrej Matisak avait colligé les réactions d'une demi-douzaine de politologues anglo-saxons. La plupart s'étaient déclarés pour une telle politique, tout en soulignant qu'elle n'aurait probablement que peu d'effet sur la situation des femmes dans ces pays. La première ambassadrice nommée au Vatican l'a été en 1975, par l'Ouganda.