Une marche est programmée dimanche dans le centre de Moscou en hommage à Boris Nemtsov, l'opposant et ancien vice-premier ministre russe assassiné près du Kremlin dans la nuit de vendredi à samedi, tandis que l'enquête se poursuit pour retrouver les auteurs du meurtre.

Le président Vladimir Poutine s'est engagé samedi à tout faire pour châtier les assassins de Nemtsov, dont le meurtre a choqué les dirigeants occidentaux et l'opposition en Russie, les alliés du Kremlin dénonçant une «provocation» visant à «déstabiliser le pays».

«Tout sera fait pour que les organisateurs et les exécutants de ce crime lâche et cynique reçoivent le châtiment qu'ils méritent», a affirmé M. Poutine dans un message de condoléances adressé à la mère de Boris Nemtsov.

Alors que la police était à la recherche du ou des assassins, plusieurs milliers de personnes ont déposé des fleurs et des bougies samedi sur le pont, à proximité des murs du Kremlin, où l'opposant de 55 ans a été tué la veille peu avant minuit alors qu'il se promenait à pied avec une jeune femme venue d'Ukraine et présentée comme sa compagne.

Quelques heures avant d'être assassiné, M. Nemtsov, intervenant sur sur les ondes de la radio Echo de Moscou, avait appelé les Russes à manifester dimanche dans la capitale contre ce qu'il avait appelé «l'agression de Vladimir Poutine» en Ukraine. Cette manifestation a été annulée pour se transformer en marche à la mémoire de l'opposant.

«Nous avons donné notre accord pour cet événement», a déclaré à l'agence de presse Ria Novosti un responsable de la ville de Moscou, Alexeï Maïorov. Les autorités ont donné leur accord pour une marche qui pourra rassembler jusqu'à 50 000 participants.

L'émotion était grande samedi parmi les personnes venues rendre hommage à Boris Nemtsov. «Quand j'ai appris la nouvelle, je n'ai pas fermé l'oeil de la nuit», raconte Valentina Dmitrieva. «Pour nous, les gens simples, c'est une énorme perte. C'était quelqu'un qui était de notre côté. C'est ainsi que je l'ai toujours considéré.»

«Nemtsov était de ma génération, c'est comme si on m'avait aussi tiré dessus. C'est un coup fatal qu'on a porté sur la tête de toute notre démocratie, de tous nos espoirs», renchérit Alexandre Badiev, un retraité de 59 ans.

Odieux assassinat»

Selon le Comité d'enquête de Moscou s'appuyant sur les premiers éléments disponibles, le meurtre de Boris Nemtsov, ancien vice-premier ministre du président Boris Eltsine devenu un opposant radical à Vladimir Poutine, a été «minutieusement planifié».

«Vers 23h15, une voiture s'est approchée d'eux, quelqu'un a tiré des coups de feu, dont quatre l'ont touché dans le dos, causant sa mort», a déclaré la porte-parole du ministère de l'Intérieur, Elena Alexeeva, à la chaîne de télévision Rossiya 24.

Des images diffusées samedi soir sur la chaîne russe TVC et prises par une caméra de vidéosurveillance située à une grande distance du pont en hauteur montrent ce qui est présenté comme le déroulement de l'assassinat, malgré la piètre qualité des prises de vue.

Au moment du meurtre, M. Nemtsov et sa compagne se trouvent toutefois cachés par un engin de déneigement, dans l'angle de la caméra. On peut ensuite apercevoir un individu, présenté comme étant l'assassin, courir vers la chaussée avant de monter dans une voiture de couleur claire qui l'attendait et de quitter les lieux.

Les dirigeants occidentaux, dont le président américain Barack Obama, n'ont pas tardé à condamner samedi «le meurtre brutal» de l'opposant et à appeler à une enquête efficace.

Le président français François Hollande a dénoncé «un odieux assassinat» et salué la mémoire d'un «défenseur courageux de la démocratie». La chancelière allemande Angela Merkel a appelé M. Poutine à faire la lumière sur ce «meurtre lâche».

Boris Nemtsov «était un pont entre l'Ukraine et la Russie, et ce pont a été détruit par les coups de feu d'un assassin. Je pense que ce n'est pas par hasard», a réagi le président ukrainien Petro Porochenko.

L'ancienne dissidente et opposante au Kremlin Lioudmila Alexeeva a résumé le sentiment de ceux qui soutenaient Boris Nemtsov dans sa lutte contre les autorités: «C'est un épouvantable assassinat politique».

Toutes les pistes étudiées

Boris Nemtsov avait envisagé de demander l'asile politique en Lituanie en 2012, craignant des persécutions de la part du Kremlin, a déclaré samedi à l'AFP Andrius Kubilius, qui était à l'époque premier ministre de cet État balte.

Du côté des alliés du Kremlin, l'accent était mis avant tout sur l'aspect «provocateur» de cet assassinat et les risques de déstabilisation de la Russie.

«Poutine a déclaré que cet assassinat brutal portait les marques d'un meurtre commandité et avait tout d'une provocation», avait immédiatement dit son porte-parole, Dmitri Peskov.

«Manifestement, il faut que le sang coule pour que des troubles éclatent dans le centre de Moscou», a commenté le chef du Parti communiste Guennadi Ziouganov. Un autre responsable du parti, Ivan Melnikov, a estimé qu'il s'agissait d'une «provocation destinée à relancer l'hystérie antirusse à l'étranger».

L'ancien numéro un soviétique Mikhaïl Gorbatchev a déploré la mort de Boris Nemtsov, exprimant la crainte que les assassins ne soient pas arrêtés: «Il faut trouver les tueurs, mais dans ce genre de crime (...) il est parfois difficile de les trouver».

Plusieurs opposants ont été tués ces dernières années en Russie, notamment la militante des droits de l'homme Natalia Estemirova en Tchétchénie, l'avocat Stanislav Markelov et la journaliste Anastasia Babourova à Moscou, de même que la journaliste Anna Politkovskaïa. Les exécutants ont parfois été arrêtés et condamnés, mais pas les commanditaires.

Les autorités ont annoncé étudier toutes les pistes: le crime politique comme la piste islamiste, Boris Nemtsov ayant reçu des menaces à la suite de son soutien au journal satirique français Charlie Hebdo, et la piste d'un assassinat lié au conflit ukrainien.

Des sources policières anonymes citées par les agences de presse russes ont évoqué une éventuelle piste d'ultra-nationalistes d'extrême droite.

Dans une interview accordée début février au site internet Sobessedniki.ru, l'opposant avouait craindre «un peu» pour sa vie en raison de ses prises de position contre Vladimir Poutine.