L'opposant russe et ancien vice-premier ministre Boris Nemtsov a été tué par balles en plein centre de Moscou, devant le Kremlin, dans la nuit de vendredi à samedi, «un assassinat qui a tout d'une provocation», selon le président Vladimir Poutine.

Boris Nemtsov se promenait avec une jeune femme sur le Grand Pont de pierre, juste à côté du Kremlin, quand «vers 23h15, une voiture s'est approchée d'eux, quelqu'un a tiré des coups de feu, dont quatre l'ont touché dans le dos, causant sa mort», a déclaré une porte-parole du ministère russe de l'Intérieur, Elena Alexeeva, à la chaîne de télévision Rossia 24.

«Poutine a déclaré que cet assassinat brutal portait les marques d'un meurtre commandité et avait tout d'une provocation», a indiqué aussitôt son porte-parole, Dmitri Peskov.

Boris Nemtsov, 55 ans, avait été premier vice-premier ministre du président Boris Eltsine à la fin des années 90 pendant un an et demi. Après l'arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine en 2000, il était devenu l'un des principaux opposants au Kremlin.

Un responsable du Comité d'enquêtes, Vladimir Markine, a indiqué de son côté que «pas moins de six ou sept coups de feu ont été tirés sur Boris Nemtsov par un inconnu circulant en voiture».

«Devant moi, je vois le corps de Boris. Il y a beaucoup de policiers autour», a déclaré à l'agence Ria Novosti un proche de M. Nemtsov, l'opposant Ilia Iachine, arrivé rapidement sur les lieux.

Rossia 24 a montré des images du corps de Boris Nemtsov allongé par terre sur le pont. Des traces de sang étaient visibles, selon une journaliste de l'AFP sur place.

Plusieurs personnes ont été témoins de l'assassinat et la jeune femme qui accompagnait Boris Nemtsov a été interrogée par les enquêteurs, a précisé la police, citée par les agences russes.

Aussitôt la nouvelle connue, des Moscovites sont venus déposer des fleurs près de l'endroit ou l'opposant a été tué.

Réactions atterrées

Le président américain Barack Obama a condamné «le meurtre brutal» de Boris Nemtsov et appelé «le gouvernement russe à rapidement mener une enquête impartiale et transparente», tandis que le secrétaire d'État John Kerry s'est déclaré «choqué et attristé».

Le Conseil de l'Europe, par la voix de son secrétaire général Thorbjoern Jagland, s'est également déclaré choqué et l'ONG Human Rights Watch (HRW) a appelé les autorités russes à enquêter sur ce meurtre de «manière impartiale».

À Moscou, les réactions atterrées se sont multipliées.

«C'est une terrible tragédie pour tout le pays», a réagi aussitôt l'ancien ministre des Finances de Vladimir Poutine, Alexeï Koudrine.

L'un des compagnons de Boris Nemtsov dans l'opposition, l'ancien Premier ministre de Vladimir Poutine Mikhaïl Kassianov a estimé que cet assassinat était «le prix à payer pour le fait que Boris s'est battu pendant des années pour que la Russie devienne un pays libre et démocratique».

«Au XXIe siècle, en 2015, un chef de l'opposition a été tué sous les murs du Kremlin. Cela dépasse l'imagination», a-t-il déclaré aux journalistes présents sur les lieux.

Le président ukrainien Petro Porochenko a lui aussi réagi: «Il (Boris Nemtsov) était un pont entre l'Ukraine et la Russie, et ce pont a été détruit par les coups de feu d'un assassin. Je pense que ce n'est pas par hasard», a-t-il écrit sur Facebook.

Seule note discordante, un responsable du parti communiste russe, Ivan Melnikov, a estimé qu'il s'agissait d'une «provocation sanglante (...) destinée à relancer l'hystérie antirusse à l'étranger», dans une déclaration citée par Ria Novosti.

Boris Nemtsov devait participer dimanche à une manifestation de l'opposition dans un quartier excentré de Moscou. Un responsable de la manifestation, Leonid Volkov, a annoncé que celle-ci était annulée et remplacée par une marche à la mémoire de l'opposant assassiné.

PHOTO DMITRY SERERYAKOV, AFP

Boris Nemtsov se promenait avec une jeune femme sur le Grand Pont de pierre, juste à côté du Kremlin, quand «vers 23h15, une voiture s'est approchée d'eux, quelqu'un a tiré des coups de feu, dont quatre l'ont touché dans le dos, causant sa mort». 

Le testament politique de Nemtsov, trois heures avant sa mort

À l'antenne d'une radio moscovite trois heures à peine avant sa mort, l'ancien ministre Boris Nemtsov, virulent critique du Kremlin, appelait les auditeurs à manifester dans un discours enflammé sur l'Ukraine et le président Vladimir Poutine, signant là son testament politique.

Vendredi, pendant 45 minutes, la voix grave, le ton sérieux, l'opposant a présenté ses propositions pour «changer la Russie», n'hésitant pas à couper ses interlocuteurs, deux journalistes de la radio Ekho Moskvy qui tentent sans succès de le dérider.

Sans surprise, la marche anticrise qu'organisait Boris Nemtsov dimanche dans la banlieue moscovite et qui s'est transformée depuis sa mort en un appel à manifester dans le centre de Moscou, occupe une place de choix dans l'interview, qui ressemble parfois davantage à un monologue comme lui reproche l'une des journalistes.

«Cette marche demande l'arrêt immédiat de la guerre avec l'Ukraine, elle exige que (le président russe Vladimir) Poutine cesse son agression», rappelle Boris Nemtsov, qui livre ensuite sa position sur la grave crise économique que traverse la Russie.

«La cause de la crise, c'est l'agression (de l'Ukraine), qui a été suivie des sanctions, puis des fuites de capitaux, tout ça à cause de l'agression insensée contre l'Ukraine que mène Poutine», dénonce celui qui, comme Kiev et les Occidentaux, assure que Moscou a envoyé des troupes soutenir les séparatistes prorusses dans l'est du pays, ce que le Kremlin a toujours démenti.

Lorsqu'une journaliste évoque la Crimée, péninsule ukrainienne rattachée à la Russie en mars après un référendum, et assure que la population souhaitait rejoindre la Russie, l'opposant tranche d'un ton catégorique, résumant en deux mots toutes ses convictions: «La force de la loi».

«La population voulait vivre en Russie, j'en conviens. Mais la question est ailleurs: il ne faut pas faire selon ses volontés, mais selon la loi et il faut respecter la communauté internationale», soutient-il.

Mettre les hommes politiques corrompus devant les tribunaux, couper de moitié le budget militaire et augmenter celui de l'éducation... Les propositions se succèdent, mais Boris Nemtsov n'est pas dupe: «L'opposition n'a pas beaucoup d'influence sur les Russes actuellement», explique-t-il.

Pour y remédier, l'opposant plaide pour l'octroi d'une heure d'antenne par semaine sur l'une des principales chaînes de télévision russe. «Quand on concentre le pouvoir entre les mains d'une seule personne, cela ne peut mener qu'à la catastrophe. À une catastrophe absolue», avertit celui qui était l'un des rares à oser encore critiquer Vladimir Poutine.