Les salariés des chaînes publiques grecques ERT tentaient mercredi de faire revenir le gouvernement sur sa décision d'hier de fermer abruptement tout l'audiovisuel public en Grèce, télévisions et radios. Cette décision choc risque d'ouvrir une nouvelle crise politique dans le pays.

Toutes les émissions des trois chaînes d'ERT ont été arrêtées mardi peu après 16H00. Les canaux numériques ont été coupés et les écrans sont devenus noirs dans toute la Grèce, déclenchant une stupeur générale dans les couloirs du siège de la vénérable société d'audiovisuel public, remplis de journalistes en larmes ou d'assistantes éplorées découvrant qu'ils venaient tout juste de perdre leur emploi.

Mercredi, enfermé dans son bureau au milieu de partisans encore sous le choc, le président du syndicat de salariés d'ERT, Panayotis Kalfayanis, a appelé à l'occupation du bâtiment, et a indiqué qu'il allait «saisir la justice européenne et la justice grecque». «Même s'ils veulent détruire la démocratie, les lois s'appliquent encore et je vais me battre» a-t-il dit à l'AFP mercredi.

Le gouvernement grec - qui rend des comptes cette semaine à la troïka des créanciers internationaux du pays - a mené une véritable blitzkrieg contre ERT. Le groupe est aussi critiqué pour ses privilèges, son clientélisme, et sa mauvaise gestion (pourtant respectée dans les milieux culturels pour l'exigence de son travail, notamment en matière de documentaires).

Mercredi en milieu de journée, le gouvernement a annoncé le dépôt d'un projet de loi réorganisant tout l'audiovisuel public grec: télévision, radio et internet. Il stipule qu'une nouvelle société publique, Nerit S.A., sera créée.

Les syndicalistes et le leader de l'opposition, Alexis Tsipras (gauche radicale, Syriza), souhaiteraient notamment obtenir du président grec Carolos Papoulias qu'il ne signe pas le décret «à contenu législatif» de la veille, abusivement baptisé décret présidentiel. Ce dernier est en fait une bizarrerie permise par la constitution grecque en cas de «situation exceptionnelle» et à condition qu'elle se transforme en loi sous 40 jours.

«C'est un coup d'État», avait analysé M. Tsipras pour dénoncer cet acte législatif qui donnait au gouvernement la possibilité de fermer une entreprise publique par décision ministérielle.

Un autre décret, signé uniquement par le ministre s'occupant de l'audiovisuel (Simos Kedikoglou - lui-même ancien journaliste de la chaîne et actuel porte-parole du gouvernement)  et actuel porte-parole du gouvernement, et le ministre des Finances Yannis Stournaras mardi dans la foulée, a permis la dissolution de ERT et le transfert de tous ses biens au ministère de l'Économie.

Le hic, car hic il y a, c'est que les deux partenaires juniors de la coalition gouvernementale, le Pasok socialiste et le Dimar (gauche modérée) ont déclaré publiquement leur opposition au premier décret.

«Nous sommes dans une nouvelle crise politique», analyse le politologue Ilias Nikolakopoulos. Selon lui, pour s'en sortir, le gouvernement, dirigé par le premier ministre conservateur Antonis Samaras (Nouvelle-Démocratie) «va tâcher de faire voter très rapidement son projet de réorganisation de l'audiovisuel public par les trois partis de la coalition».

«Une fois que le nouvel organisme sera en place, et qu'il y aura eu accord politique sur le contenu de la restructuration, la manière dont on a procédé pour y parvenir deviendra un détail et le premier décret - contesté - sera annulé».

«C'est pour cela que le gouvernement est pressé de déposer son projet de loi sur l'audiovisuel public, avec l'argument de dire qu'on ne pouvait pas le faire si ERT était encore en activité», ajoute-t-il.

Pendant ce temps, devant le siège de la radio/télévision grecque, la foule afflue en mi-journée pour soutenir les journalistes et techniciens d'ERT qui continuent de diffuser des émissions via internet (www.ert.gr) ou via le canal analogique d'une télévision locale appartenant au parti communiste grec KKE.

«J'ai 51 ans et ils veulent me faire postuler de nouveau à mon propre emploi», se lamente Spyros Priovolos, réalisateur de documentaires venu soutenir les salariés.

«Ils ne veulent plus rien dans le public. Les hôpitaux, les écoles, tout s'en va. Ce sont des barbares», lâche dans un souffle Thérèse Alatsi, enseignante de français à la retraite, et spectatrice de la télévision publique.

PHOTO LOUISA GOULIAMAKI, AFP