Le premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a tenté mercredi de désamorcer la fronde qui vise son gouvernement depuis deux semaines en évoquant l'idée d'un référendum sur le projet d'aménagement de la place Taksim d'Istanbul, à l'origine des manifestations.

Au lendemain de l'intervention de la police sur cette place, le chef du gouvernement s'est longuement entretenu avec des «représentants» de la contestation, devant lesquels il a prudemment avancé l'idée de consulter la population de la mégalopole turque, avec l'espoir qu'elle accélère la fin du mouvement.

«Nous pourrions soumettre cette question à un vote populaire à Istanbul (...) en démocratie, seule la volonté du peuple compte», a déclaré à la presse le vice-premier ministre Huseyin Celik au terme de la réunion.

«Je crois qu'après ce geste de bonne volonté, les jeunes vont décider de quitter le parc Gezi», a espéré M. Celik. «Le parc Gezi doit être évacué le plus vite possible, nous ne pouvons bien sûr pas accepter que ces manifestations se poursuivent éternellement», a-t-il ajouté.

Alors que leur légitimé est contestée par les manifestants, les interlocuteurs du premier ministre, onze membres issus d'ONG ou de la société civile, experts ou artistes, ont prudemment renvoyé à jeudi toute appréciation sur la proposition de leur hôte.

«Nous leur avons dit (au gouvernement) que nous n'avions aucune autorité pour dire quoi que ce soit sur les projets du gouvernement», a déclaré à la presse une des onze personnes reçues, Ipek Akpinar.

La coordination des manifestants du parc Gezi, la plateforme de 116 associations qui anime la contestation, n'avait ainsi pas été conviée à Ankara. Et d'autres invités, comme Greenpeace, ont préféré déclarer forfait pour dénoncer l'opération coup de poing de la police et l'intransigeance du premier ministre.

Après l'évacuation manu militari mardi de la place Taksim, le parc Gezi, dont la destruction annoncée a donné le coup d'envoi de la révolte contre le premier ministre le 31 mai, est resté mercredi le dernier bastion de la contestation.

Nombre de ses occupants y ont abandonné leurs tentes par peur d'une évacuation musclée de la police. Seuls quelques centaines d'irréductibles y ont passé une journée de plus, résolus à poursuivre leur mouvement pour protéger «leur» parc et ses 600 arbres.

Sortie de crise

«Nous n'avons pas peur», a assuré à l'AFP l'un d'eux, Anessa, une photographe de 29 ans. «Nous ne nous arrêterons pas». «Les gens apprennent à ne plus avoir peur du gouvernement», a renchéri Fulya Dagli, une étudiante en droit de 21 ans : «c'est pourquoi nous ne partirons pas».

Débarrassée des signes extérieurs des affrontements qui s'y sont déroulés jusqu'à l'aube mercredi, la place Taksim a retrouvé un visage presque normal.

Les importantes forces de police déployées à sa lisière ont dissuadé le retour des manifestants jusqu'en début de soirée, où quelques milliers de personnes ont réinvesti les lieux en scandant «Tayyip, démission !» devant les policiers. Aucun incident ne s'était produit en fin de soirée.

À Ankara, la police antiémeute a lancé des gaz lacrymogènes mercredi soir pour disperser quelque 2000 manifestants qui s'étaient rassemblés dans la rue Tunali, un des hauts lieux de la contestation, scandant des slogans anti-gouvernementaux.

Sûr du soutien d'une majorité de Turcs, le premier ministre a adopté un ton très ferme depuis le début de la crise.

Devant les députés de son Parti de la justice et de la démocratie (AKP, issu de la mouvance islamiste), M. Erdogan avait montré son impatience face à ceux qu'il qualifie volontiers de pillards ou encore d'«extrémistes». «Cette affaire est maintenant terminée. Nous ne ferons plus preuve de tolérance», avait-il lancé.

Le chef du principal parti d'opposition, le Parti républicain du peuple (CHP), Kemal Kiliçdaroglu, a appelé le président Abdullah Gül, réputé plus modéré que son premier ministre, à réunir tous les partis pour tenter de sortir de la crise. Mais le chef de l'État lui a répondu que «cela n'apporterait pas grand-chose».

Sa fermeté et le coup de force de mardi ont encore valu mercredi à M. Erdogan de nombreuses critiques dans le monde.

Les États-Unis ont exhorté la Turquie à respecter la liberté d'expression, se disant «préoccupés» par «toute tentative de punir des individus pour avoir simplement exercé» ce droit.

Paris a préconisé «l'apaisement et la retenue» et Berlin a qualifié l'intervention de la police de «mauvais signal». Sur la même ligne, la chef de la diplomatie de l'Union européenne Catherine Ashton a appelé M. Erdogan à privilégier «le dialogue et non la confrontation».

Parallèlement, des milliers d'avocats ont manifesté mercredi à travers la Turquie, notamment à Ankara et à Istanbul, pour dénoncer la brève arrestation la veille de 73 de leurs confrères stambouliotes qui s'étaient rassemblés pour soutenir la contestation.

Selon le dernier bilan publié mardi par le syndicat des médecins turcs, la vague de protestation a fait quatre morts, trois manifestants et un policier, et près de 5000 personnes ont été blessées, dont plusieurs dizaines grièvement.