En moins de trois mois, Vladimir Poutine, qui repris en mai la tête du Kremlin, a resserré sa poigne sur la société après un mouvement inédit de contestation, ce qui laisse entrevoir un avenir incertain pour les libertés en Russie, estiment des analystes.

«Le Kremlin est passé à l'offensive. C'est un passage vers un autoritarisme beaucoup plus grand, avec la possibilité d'aller vers une dictature», martèle Lilia Chevtsova, du centre Carnegie à Moscou.

Depuis que l'ex-agent du KGB est redevenu président de la Russie, une série de lois qualifiées de répressives par l'opposition ont été adoptées, dont l'une qui qualifie d'«agents de l'étranger» et place sous surveillance stricte les ONG qui ont un financement étranger et une activité «politique». Une autre condamne, quant à elle, à de très lourdes amendes les organisateurs de manifestations non autorisées.

Les sénateurs ont aussi voté un texte qui réglemente l'activité des sites internet qui contiennent des informations interdites par la loi et oblige leurs propriétaires ou les fournisseurs d'accès à les fermer.

Enfin, un texte va faire de la diffamation un délit passible d'amendes, alors que celle-ci avait été dépénalisée l'an passé sous la présidence de Dmitri Medvedev, l'actuel premier ministre, qui avait un temps incarné des espoirs de libéralisation en Russie.

Cette mesure laisse craindre que le «dégel» espéré sous l'ex-chef de l'État, dans les faits jamais vraiment sorti de l'ombre de son puissant mentor Vladimir Poutine, n'aura pas lieu.

«Marche arrière»

Selon Mme Chevtsova, il s'agit carrément d'un «putsch anticonstitutionnel du président» Poutine.

«C'est comme si quelqu'un avait appuyé sur le bouton marche arrière», renchérit de son côté le commentateur politique Mikhaïl Fichman.

«Le dégel de Medvedev ressemble plus aujourd'hui à un bout de jambon ou de beurre qui a été laissé au soleil, sous la chaleur, pendant des heures : il pourrit et fond à peu près à la même vitesse», a-t-il ajouté.

Pour nombre d'analystes, ce serrage de vis est avant tout une réponse à l'important mouvement de contestation auquel Vladimir Poutine a fait face à l'aube de son retour au Kremlin.

«C'est une réaction à la révolution et aux tentatives de changement à un moment où le régime n'en veut aucun», a souligné la commentatrice politique Ioulia Latynina.

Les deux premiers mandats, de 2000 à 2008, de Vladimir Poutine avaient déjà été marqués par une mise à mal des libertés acquises après la chute de l'URSS, en 1991: le pluralisme politique avait ainsi été associé au chaos des années 90, et les grandes chaînes de télévision avaient été reprises en main.

Un autre grand symbole de ces mandats avait été l'emprisonnement du magnat du pétrole Mikhaïl Khodorkovski, que de nombreux observateurs avaient considéré comme des représailles contre l'homme d'affaires, qui avait tenu tête au Kremlin et finançait l'opposition.

Le tribunal Khamovnitcheski de Moscou, qui avait été le théâtre du deuxième procès de M. Khodorkovski, accueille d'ailleurs aujourd'hui celui de trois femmes punks qui risquent jusqu'à sept ans de prison pour avoir interprété une chanson contre Vladimir Poutine dans la cathédrale moscovite du Christ-Sauveur.

La marge de manoeuvre de l'opposition, dont les manifestations ne rassemblent plus des dizaines de milliers de personnes comme avant le retour de Poutine au Kremlin, reste donc plus qu'incertaine.

«L'automne nous attend. Une grande expérience va commencer : jusqu'où peut aller le pouvoir pour intimider la société ?», conclut Mme Chevtsova.