Désormais «illégaux» mais déterminés à faire entendre leur ras-le-bol de la crise et du chômage, les manifestants de la Puerta del Sol à Madrid restaient mobilisés samedi, à la veille d'élections locales annoncées comme un désastre pour les socialistes espagnols.

Autour du «village» alternatif de tentes et de bâches en plastique bleu planté sur la grande place populaire du centre de Madrid, des milliers de manifestants se sont à nouveau rassemblés dans la soirée, dans une ambiance festive et bariolée, au rythme des percussions brésiliennes.

Les manifestants qui se relaient jour et nuit à la Puerta del Sol défient désormais la loi qui interdit tout acte politique à la veille d'une journée électorale.

Mais le gouvernement socialiste, embarrassé par cette fronde citoyenne et pacifique, qui n'a cessé de grossir depuis le 15 mai, a été contraint de jouer la conciliation et aucun ordre d'évacuation n'a été donné à la police, à moins d'incidents.

60 000 personnes, selon le ministère, ont manifesté vendredi soir partout en Espagne, dont environ 20 000 à Madrid selon des estimations des médias.

Forts de leur succès, les organisateurs du mouvement espèrent maintenant le prolonger au-delà de dimanche.

Aux cris de «maintenant nous sommes illégaux», une foule immense avait accueilli vendredi à minuit, sur la Puerta del Sol, le début de la trêve électorale, après avoir, aux douze coups de l'horloge, lancé symboliquement un «cri muet», rubans de scotch sur la bouche, bras levés au ciel.

Samedi soir, la foule remplissait à nouveau la Puerta del Sol et les rues voisines. Des milliers d'autres manifestants se sont rassemblés dans les villes de province, dont Barcelone et Valence.

«C'est quelque chose de nécessaire, parce qu'en Espagne on ne savait pas que les gens étaient capables de faire cela. Nous vivons enfin quelque chose», confiait Julia Estefania, une étudiante en sciences politiques de 20 ans, venue de Tolède pour rejoindre les «indignados», les indignés, de Madrid.

Elle et ses amies se sont reposées quelques heures à peine, allongées sur des cartons pendant la nuit de vendredi à samedi. «Dormir, dormir, je n'en avais pas très envie, finalement nous nous sommes allongées vers 6 heures», ajoutait Irène, 18 ans, une autre jeune fille du groupe.

Depuis mardi, ce mouvement rassemble une mosaïque de jeunes rejoints par des citoyens de tous horizons, chômeurs, étudiants, retraités, salariés.

Inédit, spontané et coloré, le mouvement dénonce l'injustice sociale, les dérives du capitalisme, la «corruption des politiciens» et se veut un laboratoire d'idées pour des réformes à venir.

Surtout, il trahit la frustration de millions d'Espagnols face à un chômage record (21,19%), qui frappe près de la moitié des moins de 25 ans.

Et aussi la défiance envers les grands partis politiques, les socialistes et leurs adversaires conservateurs du Parti Populaire (PP), qui pourrait alimenter dimanche le vote blanc, l'abstention ou le vote pour de petits partis.

Cette vague contestataire a été l'invitée surprise de la campagne électorale, au moment où les socialistes s'apprêtent, selon les sondages, à affronter une sévère défaite aux élections régionales et municipales de dimanche.

13 des 17 régions espagnoles élisent leur Parlement autonome et toutes les communes du pays leur conseil municipal. Les socialistes devraient perdre notamment les villes de Barcelone et Séville.

Dans ce contexte, le mouvement de jeunes, en position de force, joue sur l'ambiguité de la loi et l'embarras du gouvernement, en répétant qu'il est «apolitique» et «citoyen».

«Nous agissons dans le respect absolu de la trêve électorale», a expliqué samedi Juan Lopez, l'un des porte-parole, ajoutant que les manifestants avaient désormais «la ferme intention» de poursuivre le mouvement au-delà du calendrier initial prévu jusqu'aux élections.