Le chef du gouvernement italien, Silvio Berlusconi, affiche toujours publiquement une conviction inébranlable dans ses capacités et son avenir, même lorsque la situation semble devenir intenable.

Il en a encore donné un exemple lors d'un récent passage dans l'île de Lampedusa, au sud de l'Italie, blaguant sur un supposé sondage qui demandait aux femmes locales si elles aimeraient coucher avec lui. Un tiers, a-t-il relaté, ont dit «oui», les deux tiers restants répondant «Quoi? Encore?»

La boutade ne manquait pas de culot à quelques jours de l'ouverture du procès du Rubygate, qui met en relief les singulières moeurs du politicien de 74 ans. Il est accusé d'avoir eu des relations sexuelles payées avec une mineure, connue comme Ruby la voleuse de coeurs, et d'être intervenu personnellement pour la faire libérer après son arrestation pour une histoire de vol.

La confiance affichée de l'accusé dans cette affaire, qui doit reprendre fin mai, ne tient pas seulement à son caractère personnel ou à une stratégie médiatique, mais aussi à des considérations plus pragmatiques.

Pas de preuve incontournable

Selon un journaliste italien bien informé croisé cette semaine à Milan, la justice ne dispose pas de «smoking gun» - de preuve incontournable - pour démontrer que le chef du gouvernement a bel et bien eu des relations sexuelles payées avec la jeune femme. Cette dernière a par ailleurs refusé de se constituer partie civile dans le procès, confirmant du coup qu'elle continuerait de nier toute relation inappropriée avec Silvio Berlusconi.

Le vote du Parlement italien, qui conteste la juridiction du tribunal milanais, risque par ailleurs de retarder pendant des mois l'avancée du processus judiciaire, voire de l'étouffer. La Cour constitutionnelle devra décider si l'affaire doit être entendue par un tribunal spécial pour ministres.

Le Rubygate n'est pas le seul dossier pour lequel le chef du gouvernement tente d'utiliser sa majorité parlementaire à des fins personnelles. Il vise aussi à faire voter une loi modifiant les délais de prescription de manière à se soustraire à une affaire de corruption de témoin.

Le Cavaliere a plusieurs fois fait changer les lois par le passé pour se soustraire à la justice, relève l'ancien président de la Cour constitutionnelle, Valerio Onida, qui se montre sceptique de le voir tomber sur des questions judiciaires.

Coalition fragile?

«Ses problèmes sont plus politiques que juridiques», souligne M. Onida, qui enseigne aujourd'hui dans une université milanaise.

Le chef du gouvernement italien a survécu par quelques voix en décembre dernier à un vote de confiance peu de temps après que son ancien allié, Gianfranco Fini, eut quitté la coalition en emportant avec lui une trentaine de députés.

Le départ de Fini a donné un poids politique encore plus important à la Ligue du Nord, formation xénophobe d'Umberto Bossi qui est la principale partenaire du parti du Peuple de la liberté (PDL) de Silvio Berlusconi.

«Nous sommes comme la garde prétorienne à l'époque de l'Empire romain», a résumé cette semaine à La Presse un haut responsable de la Ligue du Nord, Davide Boni, en évoquant les soldats d'élite qui étaient chargés de protéger l'empereur.

Des tensions se sont manifestées au cours des derniers jours entre le PDL et la Ligue du Nord relativement à la gestion de l'afflux de milliers d'immigrants illégaux partant de la Tunisie pour se rendre à Lampedusa.

M. Boni, qui préside le conseil régional de Lombardie, a déclaré que sa formation pourrait quitter la coalition et faire tomber du même coup Silvio Berlusconi s'il ne réussissait pas à trouver rapidement une entente avec Tunis pour endiguer le flot de réfugiés. La mise en garde a eu d'importants échos dans les médias italiens, témoignant des interrogations existantes sur la solidité de la coalition gouvernementale.

L'objectif ultime des troupes d'Umberto Bossi est d'obtenir une décentralisation importante des pouvoirs vers les régions, un nouveau «fédéralisme» qui constitue la raison première de son soutien au chef du gouvernement italien et qui pourrait prendre forme avant la fin de l'année.

Malgré les mises en garde musclées sur l'immigration et l'irritation du parti envers les frasques de Silvio Berlusconi, il semble que la Ligue du Nord soit en fait disposée à avaler encore quelques couleuvres plutôt que de précipiter de nouvelles élections qui la détourneraient de son but.

«Paris vaut bien une messe», a déclaré M. Boni, résumant un calcul qui n'est pas pour déplaire au Cavaliere.