La justice russe a reporté mercredi sans explication au 27 décembre l'énoncé du jugement dans le deuxième procès de Mikhaïl Khodorkovski, un coup de théâtre dans la saga judiciaire - lourde de conséquence politique - de l'ex-homme le plus riche de Russie.

«L'énoncé du jugement dans le procès contre Khodorkovski et (son co-prévenu Platon) Lebedev commencera le 27 décembre à 10h», indique laconiquement une note affichée à l'entrée du bâtiment du tribunal moscovite de Khamovniki, a constaté une journaliste de l'AFP.

«Le tribunal ne va pas expliquer la raison» de cet ajournement, a déclaré Natalia Vassilieva, porte-parole du tribunal.

L'un des avocats de la défense, Vadim Kliouvgant, a indiqué à la presse qu'il avait été «informé par écrit» de cette décision. «Aucun commentaire n'a été fait, il n'y a que le juge qui peut le faire mais la loi lui interdit de communiquer avec nous», a-t-il poursuivi.

La justice russe devait entamer mercredi l'énoncé du jugement dans le deuxième procès de Mikhaïl Khodorkovski, ex-PDG de Ioukos, fleuron de l'industrie pétrolière démantelé au profit d'entreprises proches du Kremlin.

Le parquet a requis 14 ans de camp contre MM. Khodorkovski et Lebedev accusés de détournement de 218 millions de tonnes de pétrole. Les deux hommes, incarcérés en 2003, purgent déjà une peine de huit ans pour évasion fiscale et escroquerie à grande échelle

Les parents de M. Khodorkovski arrivés au tribunal au petit matin se sont dits perplexes devant cette décision.

«Je ne m'attendais pas à ça. Je pense qu'elles (les autorités) veulent que cela tombe pendant la période des fêtes quand les gens auront d'autres préoccupations», a déclaré à la presse Boris Khodorkovski, le père de Mikhaïl.

«Je pense que le juge ne sait pas lui-même quelle sera sa décision», a pour sa part estimé sa mère, Marina Khodorkovkaïa.

Plusieurs observateurs ont vu dans la décision du tribunal un «mauvais signe» jugeant que la manoeuvre avait pour but de détourner l'attention de l'opinion publique en Russie et en Occident de cette affaire.

«J'ai un très mauvais pressentiment. Cette tradition existe depuis l'époque soviétique: si on veut faire une saleté, on la fait pendant Noël ou le Nouvel An», a déclaré à l'AFP la présidente du groupe Helsinki et ex-dissidente Lioudmila Alexeïeva.

«C'est un report sinistre. Ils préparent un jugement ignoble, mais ont peur de l'énoncer dans les jours qui viennent», a déclaré l'opposant libéral Boris Nemtsov cité par l'agence Intrefax.

Un autre avocat de la défense, Konstantin Rivkine, a estimé que le report pourrait s'expliquer par le fait que la traditionnelle séance annuelle de questions-réponses télévisée du Premier ministre et ancien président Vladimir Poutine avec la population est prévue jeudi.

«Si l'énoncé avait commencé mercredi et qu'on avait pu en déduire qu'on se dirigeait vers une condamnation, on peut penser que Poutine n'aurait pas souhaité répondre aux questions» liées à cette affaire, a-t-il dit, cité par Ria Novosti.

L'affaire Ioukos a été dénoncée par les libéraux russes et à l'étranger comme une opération inspirée par le Kremlin pour briser un homme d'affaires trop indépendant et manifestant des ambitions politiques.

Arkadi Dvorkovitch, conseiller économique du président Dmitri Medvedev, considéré comme plus libéral que M. Poutine, a émis mardi des doutes sur le bien-fondé des accusations dans le deuxième procès.

M. Dvorkovitch a déclaré à la BBC qu'il «aurait témoigné», comme l'avait fait Guerman Gref, ministre de l'Économie au moment des faits incriminés à M. Khodorkovski.

M. Gref, convoqué comme témoin en juin, a déclaré au tribunal qu'il n'aurait pas manqué d'être informé si un cinquième du pétrole produit par la Russie en un an avait été détourné lorsqu'il était ministre.