L'islam est-il désormais une composante de l'Allemagne? En répondant par l'affirmative, le président de la République Christian Wulff a provoqué une levée de boucliers dans les rangs conservateurs, et même la chancelière Angela Merkel a pris ses distances.

Ce débat enflammé intervient alors même que des capitales et des médias occidentaux montrent du doigt un pays qui serait menacé par le terrorisme islamiste et d'où proviendraient nombre de poseurs de bombes potentiels.

M. Wulff, plus haut personnage de l'État, qui occupe une fonction largement honorifique d'où il est censé fournir des repères notamment sur les questions éthiques et morales, avait choisi les célébrations du 20e anniversaire de la Réunification le 3 octobre.

«Le christianisme fait sans aucun doute partie de l'Allemagne. Le judaïsme fait sans aucun doute partie de l'Allemagne (...) Mais l'islam entre-temps fait aussi partie de l'Allemagne», a souligné le président, membre de l'Union démocrate-chrétienne (CDU) de la chancelière.

Dans un pays qui compte 3,8 à 4,3 millions d'habitants de confession musulmane (dont 45% ont la nationalité allemande), ces propos ont été condamnés par 66% des personnes interrogées pour un sondage publié par le quotidien Bild.

Dans les rangs conservateurs, fortement imprégnés de catholicisme, plusieurs responsables ont critiqué Christian Wulff. «Certes l'islam est entre-temps devenu une réalité en Allemagne mais c'est la tradition judéo-chrétienne» qui prévaut, a martelé Wolfgang Bosbach, le président de la commission des Affaires intérieures au Bundestag (chambre des députés).

La CSU, aile bavaroise et plus conservatrice de la CDU, s'est également élevée contre les affirmations de M. Wulff. Pour le ministre bavarois de l'Intérieur, Joachim Hermann, il n'y a «pas la moindre raison d'intégrer l'islam parmi nos valeurs».

Mme Merkel s'est montré étonnement réservée. «Chez nous prévaut la Loi fondamentale (qui tient lieu de Constitution) et non la charia», une forme très stricte de la loi islamique, a-t-elle souligné, insistant longuement sur les valeurs «chrétiennes et juives qui imprègnent» l'Allemagne.

La chancelière s'est prononcée pour la formation d'imams en Allemagne, mais elle a insisté sur la nécessité pour les musulmans de respecter les lois allemandes.

Ce n'est pas la première fois qu'un responsable politique de haut rang affirme la place de l'islam dans la société, mais les déclarations de M. Wulff sont intervenues en plein débat sur l'intégration des étrangers.

L'Allemagne a connu ces dernières semaines une violente polémique après la publication par Thilo Sarrazin, un dirigeant de la Bundesbank --qui a depuis démissionné-- d'un pamphlet stigmatisant les musulmans.

Selon les sondages, il est soutenu par une majorité d'Allemands.

En outre, l'Allemagne est ces derniers jours à nouveau présentée comme une terre privilégiée de recrutement pour les groupes extrémistes islamistes.

Le quotidien Bild, qui avec ses 12,5 millions de lecteurs revendiqués fait souvent l'opinion en Allemagne, a depuis dimanche au moins un titre de une sur l'intégration des musulmans. «Jusqu'où l'Allemagne peut-elle supporter l'islam?», demandait-il mardi pour lancer une enquête sur les écoliers allemands présentés comme victimes du racisme de leurs camarades turcs dans les établissements à forte population étrangère.

La communauté musulmane, très morcelée, a salué les propos de M. Wulff. Dans quelques décennies on évoquera sans problème une «culture judéo-musulmano-chrétienne en Allemagne», a insisté Kenan Kolat, le président de la Communauté turque, sur une radio publique. «Mais à l'heure actuelle certains hommes politiques y voient encore la chute de la République fédérale».