La Cour suprême russe a annulé jeudi le verdict d'acquittement de trois suspects dans le meurtre de la journaliste Anna Politkovskaïa et ordonné un nouveau procès, une décision critiquée à la fois par la défense et la famille de la victime.

«La Cour suprême a annulé le verdict dans l'affaire du meurtre de Politkovskaïa. L'affaire va être réexaminée par de nouveaux jurés», a déclaré à l'AFP un porte-parole de la juridiction, Pavel Odintsov.

Les magistrats ont ainsi donné gain de cause au Parquet général qui avait requis l'annulation du verdict et insistait sur la nécessité d'un complément d'information en invoquant des vices de procédures lors du premier procès.

La défense a aussitôt fait savoir qu'elle contesterait l'arrêt de la juridiction suprême devant la Cour européenne des droits de l'Homme à Strasbourg.

«C'est une décision politique prise au plus haut niveau. Nous allons la contester, mais c'est presque inutile à l'intérieur du pays», a déclaré à l'AFP l'un des avocats de la défense, Mourad Moussaïev.

Les enfants de la journaliste assassinée par balles le 7 octobre 2006 dans le hall de son immeuble à Moscou «étaient tout à fait d'accord avec le verdict d'acquittement», a rappelé leur avocate, Anna Stavitskaïa.

«Avec les preuves qu'on leur avait présentées, les jurés ne pouvaient pas décider autrement», a-t-elle indiqué à l'AFP.

«Dans le nouveau procès le verdict sera le même», a-t-elle ajouté, en demandant qu'une «nouvelle enquête soit faite».

Les jurés avaient acquitté le 19 février les complices présumés du meurtre de la journaliste, après trois mois d'un procès qui n'avait pas permis de faire la lumière sur les motifs du crime ni sur l'identité du commanditaire.

L'organisation Reporters sans frontières a souligné jeudi que la décision de la Cour suprême ne faisait «pas encore justice».

«Il s'agit de l'identité du commanditaire et de l'exécutant de ce crime. L'affaire Politkovskaïa ne pourra être considérée comme élucidée que lorsque ceux-ci auront été identifiés, appréhendés et jugés», poursuit le RSF dans un communiqué.

Les deux frères tchétchènes Djabraïl et Ibraguim Makhmoudov étaient soupçonnés d'avoir surveillé les déplacements de Mme Politkovskaïa et d'avoir conduit sur les lieux du crime le tueur présumé, leur frère Roustam, qui n'a jamais été arrêté.

Un ancien policier, Sergueï Khadjikourbanov, soupçonné d'avoir organisé la logistique de l'assassinat, avait alors aussi été acquitté.

Les trois accusés ont été remis en liberté à la suite du verdict qui avait suscité de vives critiques de la part d'organisations de défense des droits de l'Homme et d'institutions européennes.

Le Conseil de l'Europe avait dénoncé un «échec patent» du procès et l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) s'était élevée contre «l'impunité» des tueurs de journalistes qui en Russie «écrivent sur la corruption et les violations des droits de l'Homme», une réaction qualifiée de «provocation» par Moscou.

De leur côté, les États-Unis avaient appelé la Russie à rechercher les responsables «le plus rapidement possible» et la France avait jugé «essentiel» que les auteurs de l'assassinat «répondent de ce crime odieux».

Anna Politkovskaïa était l'une des rares journalistes russes à avoir dénoncé les atteintes aux droits de l'Homme lors du conflit en Tchétchénie et à critiquer ouvertement les abus du système politique et judiciaire sous Vladimir Poutine, alors président du pays.