Dans l'espoir de trouver le responsable d'une série de cambriolages, le FBI a tenté récemment de forcer Google à utiliser les données de localisation de ses utilisateurs pour identifier toutes les personnes s'étant trouvées à proximité des commerces ciblés.

Les demandes de ce type, assimilées à des « parties de pêche » abusives par l'American Civil Liberties Union (ACLU), se multiplient aux États-Unis et pourraient aussi être utilisées au Canada, où la protection juridique de ces données demeure relativement limitée.

« On parle ici d'une requête de grande portée qui a pour effet de recueillir des informations sur un grand nombre de personnes totalement innocentes », s'inquiète Nathan Freed Wessler, avocat de l'ACLU.

La demande du FBI, révélée par Forbes il y a quelques jours, est détaillée dans un mandat approuvé par un tribunal en mars dernier.

Alors qu'il est courant pour les corps policiers de demander les données de géolocalisation de l'appareil d'un individu en particulier pour pouvoir le lier par exemple à un lieu où est survenu un acte criminel, les enquêteurs ont adopté cette fois une méthode différente.

Ils ont demandé à la cour de contraindre Google à identifier toute personne localisée à proximité d'au moins deux des neuf établissements ciblés par le cambrioleur recherché dans la période de temps où les crimes avaient été commis dans le Maine.

L'enquêteur au dossier a précisé, à l'appui de sa demande, que l'entreprise de la Silicon Valley « collecte et conserve des données de géolocalisation d'appareils mobiles fonctionnant sur Android » qui lui servent à vendre de la publicité géographiquement ciblée à ses clients. Les personnes utilisant des applications comme Google Maps sur d'autres types d'appareils étaient aussi ciblées.

Selon Forbes, les dirigeants de l'entreprise n'ont pas donné suite à la demande de transmission de données bien qu'elle ait été renouvelée à plusieurs reprises par le corps policier. Le FBI a finalement trouvé un suspect par d'autres méthodes.

QUELQUES PRÉCÉDENTS

Une chaîne de télévision de la Caroline du Nord a révélé plus tôt cette année que la police de Raleigh avait utilisé une approche similaire dans le cadre de quatre enquêtes l'année dernière.

Là encore, plutôt que de scruter les données de géolocalisation d'un individu donné, ils ont demandé à Google d'identifier les utilisateurs d'appareils mobiles ayant circulé à proximité de zones délimitées où des crimes étaient survenus.

M. Wessler, de l'ACLU, note que ce type de demande demeure peu répandu pour l'heure. Les corps policiers demandent cependant régulièrement aux compagnies téléphoniques d'identifier les appareils connectés à une tour de transmission à un moment clé pour pouvoir identifier des suspects potentiels.

L'information générée peut là encore inclure un grand nombre de personnes innocentes, mais les données sont beaucoup moins précises que celles de Google, relève l'analyste, qui doute de la constitutionnalité de telles demandes.

Les autorités policières aux États-Unis prétendent depuis longtemps que les personnes qui acceptent que de « tierces parties », comme les compagnies téléphoniques, stockent des données à leur sujet ne peuvent présumer qu'elles sont protégées par les dispositions constitutionnelles interdisant les fouilles abusives.

En juin, la Cour suprême a invalidé cette logique dans une cause liée à l'obtention de l'historique de localisation d'un suspect en relevant le caractère extrêmement sensible de ces données.

M. Wessler pense que la décision pourrait avoir une incidence juridique sur des demandes comme celle formulée par le FBI et inciter Google à les contester devant les tribunaux.

« Historiquement, les sociétés technologiques se sont montrées plus disposées que les compagnies téléphoniques à contester les demandes des autorités », relève-t-il.

PROBABLE AU CANADA

Gerald Chan, avocat criminaliste de Toronto qui suit de près les développements technologiques en matière d'enquêtes policières, a indiqué hier qu'il n'avait pas connaissance de causes au Canada où Google avait été saisie d'une demande reflétant celle du FBI.

« Si ce n'est pas arrivé encore, ce n'est qu'une question de temps », a-t-il relevé.

Le scénario paraît d'autant plus probable, note M. Chan, que le gouvernement canadien a abaissé il y a quelques années le niveau de preuve requis des corps policiers pour qu'ils soient autorisés à accéder aux données de localisation.

Il est loin d'être clair qu'une contestation juridique de la part de Google face à une telle demande serait couronnée de succès, note M. Chan.

Un porte-parole de Google Canada, Aaron Brindle, a indiqué hier que la société avait l'habitude de s'opposer aux demandes d'informations de « portée exagérée » pour protéger la vie privée de ses utilisateurs. Il n'a pas précisé si la firme avait fait l'objet de mandats comme celui obtenu par le FBI aux États-Unis.

Christopher Parsons, chercheur associé au Citizen Lab de l'Université de Toronto qui étudie de près les développements dans ce domaine, n'a pas non plus eu connaissance à ce jour de demandes reflétant celle qui a été mise en lumière par Forbes.

Il note que les tribunaux canadiens permettent régulièrement aux corps policiers, comme aux États-Unis, d'obtenir d'un coup des compagnies téléphoniques des informations liées à l'ensemble des utilisateurs d'appareils connectés à une tour de transmission durant une période donnée.

Dans un jugement rendu en Ontario, un magistrat a cependant mis de l'avant en 2016 des lignes directrices visant à amener les policiers à mieux baliser leurs demandes pour limiter le nombre de personnes potentiellement touchées.

Le véritable problème au Canada, note M. Parsons, ne vient pas des tribunaux, mais des lois, qui protègent mieux traditionnellement le contenu des communications que les données qui y sont associées.

« Aujourd'hui, les métadonnées sont plus révélatrices, mais la loi ne s'est pas ajustée à cette réalité », dit-il.