«Regardez ce visage. C'est le visage d'une femme de 61 ans. Je suis fière de chaque année et de chaque ride.»

La femme qui prononce ces mots s'appelle Carly Fiorina. Ancienne patronne de la société Hewlett-Packard, elle brigue aujourd'hui l'investiture républicaine pour la présidence aux côtés de 15 hommes, dont Donald Trump, qui s'en voudra peut-être de l'avoir insultée.

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Lundi dernier, Carly Fiorina a diffusé sur la Toile une publicité intitulée Visages. Elle n'y fait pas seulement allusion au sien, mais également à celui de plusieurs autres femmes qui défilent dans la pub pendant qu'elle vante leur «leadership dans vos communautés, dans vos entreprises, dans vos lieux de travail et de culte».

«Note au Parti démocrate: nous ne sommes pas un groupe d'intérêt particulier, nous sommes la majorité de ce pays», ajoute la candidate vers la fin de la pub, qui la montre en train de s'adresser à un groupe de femmes.

Mais la cible première de Carly Fiorina n'était pas le Parti démocrate. C'était plutôt Donald Trump, qui avait ridiculisé son look en la voyant à la télévision lors d'une entrevue au magazine Rolling Stone. «Regardez ce visage! Quelqu'un voterait-il pour ça?», avait lancé le milliardaire. Répondant plus tard au tollé provoqué par ses déclarations, il a juré avoir fait référence au «personnage» et non au visage de sa rivale.

Cette controverse aura permis à Carly Fiorina de créer l'un des moments clés du deuxième débat républicain, présenté mercredi soir dernier à CNN et regardé par 22,9 millions de téléspectateurs. Interrogée sur les propos sexistes de Donald Trump, elle a réglé la question en une seule phrase : « Je pense que toutes les femmes du pays ont très clairement entendu ce que M. Trump a dit. »

C'était la première fois depuis le début de sa campagne présidentielle qu'une de ses insultes se retournait contre Donald Trump. La phrase de Carly Fiorina n'est pas le seul moment où celui-ci a mal paru lors du débat, mais elle en viendra peut-être à illustrer un tournant dans la course à l'investiture républicaine.

Déclarée grande gagnante du débat, Carly Fiorina fournit aux médias les prémices d'une histoire irrésistible. Selon un sondage CNN/ORC publié hier matin, elle occupe désormais le deuxième rang parmi les candidats républicains, ayant vu ses appuis passer de 3% à 15% en moins de trois semaines, alors que le meneur, Donald Trump, a perdu huit points (de 32% à 24%).

Écartée du premier débat républicain en raison de ses scores médiocres dans les sondages, Carly Fiorina a dominé le deuxième en défendant avec aplomb (et parfois émotion) ses positions conservatrices sur plusieurs sujets, dont la politique étrangère, l'avortement et la légalisation de la marijuana («Mon mari Frank et moi, nous avons perdu un enfant à cause de la drogue», a-t-elle révélé).

Dans un article publié le surlendemain, le New York Times a soutenu que Carly Fiorina représentait un «antidote crédible» à l'avantage crucial dont jouissent les démocrates auprès des femmes. Pour cette seule raison, Donald Trump et les autres candidats républicains auraient sans doute raison de la craindre. Mais en serait-il de même pour des démocrates?

Plusieurs démocrates, en fait, se réjouissent de l'émergence de Carly Fiorina. En 2010, la républicaine a tenté de ravir son siège à la sénatrice de Californie Barbara Boxer. Elle a mis de l'avant son impressionnant parcours professionnel - après un début comme secrétaire dans une agence immobilière, elle a gravi les échelons d'AT&T et de Lucent avant de prendre la tête de Hewlett-Packard en 1999.

La sénatrice Boxer l'a cependant battue facilement en concentrant ses attaques sur sa gestion du géant de l'informatique. Forcée à la démission en 2005 après une performance calamiteuse de HP en Bourse et le licenciement de 30 000 employés, Carly Fiorina a néanmoins quitté son poste avec 41 millions $, un fait sur lequel sa rivale a beaucoup insisté.

Les démocrates estiment en outre que les positions de Carly Fiorina sur plusieurs sujets, dont l'avortement, hérisseront les électeurs modérés. Mercredi soir, la républicaine a notamment appelé à la fin des subsides gouvernementaux à l'organisation Planned Parenthood, accusée par des militants «pro-vie», sur la foi de vidéos controversées, de vendre des organes de foetus avortés à des cliniques aux fins de recherche médicale.

«Je mets au défi Hillary Clinton et Barack Obama de visionner ces vidéos», a déclaré Carly Fiorina sur un ton passionné, affirmant avoir vu «un foetus pleinement formé sur la table, son coeur battant, ses jambes battantes, alors que quelqu'un parle de la nécessité de le garder en vie pour prélever son cerveau».

Cette sortie a dû aider Carly Fiorina auprès des conservateurs chrétiens. Le hic, selon plusieurs médias américains, c'est que les images dont elle s'est indignée n'existent pas.