Le rapport de plus de 500 pages rendu public hier par la commission du renseignement du Sénat américain compte une vingtaine de conclusions relativement au programme d'interrogatoire controversé de la CIA. Survol des principaux constats.

DES TECHNIQUES D'INTERROGATOIRE INEFFICACES

Contrairement à ce que maintenaient les ténors de la CIA, les techniques d'interrogatoire «renforcées» utilisées contre les détenus n'étaient pas efficaces pour obtenir des informations utiles. Sept d'entre eux n'ont fourni aucun renseignement stratégique, alors que plusieurs autres ont inventé des informations - notamment sur de présumés complots terroristes - après avoir été soumis aux techniques en question. Elles étaient appliquées dès l'arrivée des suspects en détention, sans égard à leur volonté de coopération. Plusieurs détenus avaient fourni des informations d'importance avant d'être soumis à des techniques plus musclées. L'approche préconisée par la haute direction de la CIA a été critiquée à plusieurs reprises dans des communications internes par des agents participant au programme qui se disaient incapables, par ces méthodes, d'obtenir des résultats intéressants.

PAS DE COMPLOT DÉJOUÉ

La haute direction de la CIA a maintenu à plusieurs reprises, dans ses interventions auprès de l'administration américaine, que le recours aux techniques d'interrogatoire renforcées avait permis de contrer un grand nombre de complots terroristes. La commission du renseignement du Sénat, après avoir passé en revue 20 cas évoqués par l'agence pour prouver l'efficacité de son programme, est arrivée à la conclusion contraire. Ses recherches ont démontré que les informations ayant permis les «succès» cités en matière de lutte antiterroriste, incluant notamment la traque d'Oussama ben Laden, ne provenaient pas d'interrogatoires menés avec les techniques renforcées. Ou que les informations utilisées avaient déjà été apprises par d'autres sources.

LA CIA A MINIMISÉ LA VIOLENCE DES TECHNIQUES UTILISÉES

Les détenus interrogés par la CIA étaient soumis à des techniques «bien pires» que ne le laissait entendre l'agence de renseignement. Certains ont été lancés de façon répétée contre des murs et frappés alors qu'ils étaient maintenus nus pour de longues périodes et privés de sommeil. Au moins cinq d'entre eux ont développé d'importantes hallucinations durant cette période. Le premier détenu à avoir été ciblé par le programme, Abou Zoubeida, un suspect d'origine saoudienne, s'est retrouvé inconscient «avec des bulles qui remontaient de sa bouche» après avoir été soumis à plusieurs reprises à des simulations de noyade. Le même homme a été placé pendant une période totale de plus de 10 jours dans une boîte en forme de cercueil et maintenu en isolement complet pendant une période de 47 journées consécutives. D'autres prisonniers étaient régulièrement plongés dans des bains glacés. Une demi-douzaine ont été soumis par ailleurs à une forme de «réhydratation anale» sans qu'il n'y ait de nécessité médicale avérée. Les menaces étaient aussi fréquentes. Des agents de la CIA ont menacé de s'en prendre aux enfants de certains prisonniers, de violer leur mère ou encore de leur «couper la gorge».

LA CIA A MINIMISÉ LA SÉVÉRITÉ DES CONDITIONS DE DÉTENTION

Les conditions de détention dans les centres dirigés par la CIA étaient extrêmement rudes, particulièrement dans la phase initiale du programme. L'un de ces centres, appelé Cobalt, a été utilisé pour la moitié des 119 détenus identifiés par la commission du renseignement du Sénat. Il était qualifié de «donjon» par un des responsables des interrogatoires. Les prisonniers étaient maintenus dans le noir et constamment attachés pendant que de la musique forte était diffusée. Un seau servait de toilette. Les agents faisaient parfois irruption dans les cellules pour en extraire les détenus et procéder à une violente «mise au sol». Les vêtements du prisonnier ciblé étaient arrachés, sa tête couverte, et il était «sécurisé» avec du ruban adhésif avant d'être traîné à travers un corridor, pendant qu'on le frappait à répétition. En 2002, un détenu qui était partiellement dénudé et enchaîné au sol est mort dans la prison.

LA CIA A FREINÉ LES EFFORTS DU CONGRÈS POUR SUPERVISER LE PROGRAMME

La CIA n'a informé les dirigeants de la commission du renseignement du Sénat sur les techniques d'interrogatoire renforcées qu'en septembre 2002, alors qu'elles avaient déjà été approuvées et utilisées contre des détenus. L'agence de renseignement n'a pas répondu, cette année-là, à une demande de précision du dirigeant de la commission après avoir relevé, dans des communications internes, que l'élu quitterait ses fonctions au début de l'année suivante. La même résistance était manifeste en 2006, quatre ans plus tard, lorsqu'un autre membre de la commission a réclamé des documents plus précis. Des informations additionnelles ont été rendues disponibles après que le président américain eut reconnu publiquement, cette année-là, l'existence du programme, mais elles contenaient des informations erronées et trompeuses.

DEUX PSYCHOLOGUES SANS EXPERTISE DANS LE DOMAINE

La CIA a confié à deux psychologues contractuels la responsabilité d'élaborer les techniques d'interrogatoire renforcées à utiliser dans le cadre de son programme. Ils n'avaient aucune expertise dans le domaine, aucune connaissance particulière d'Al-Qaïda ou du contreterrorisme et ne disposaient d'aucune compétence culturelle ou linguistique pertinente. Après avoir élaboré la liste de techniques, les psychologues en question ont participé aux interrogatoires de plusieurs suspects importants. Ils ont évalué, à diverses reprises, si l'état psychologique des prisonniers ciblés permettait de continuer à appliquer les techniques renforcées. Les deux employés contractuels ont formé en 2005 une entreprise afin de traiter avec la CIA. Le contrat de base signé avec la nouvelle entreprise prévoyait des paiements cumulés de 180 millions de dollars. Une somme totale de 80 millions a été versée jusqu'à ce que le contrat soit révoqué, en 2009.