Les fondations philanthropiques d'envergure comme celle mise sur pied par le cofondateur de Microsoft, Bill Gates, suscitent des critiques croissantes aux États-Unis.

Alors que les dirigeants de ces organisations sont traditionnellement présentés comme des «superhéros globaux» capables de résoudre les grands problèmes de la planète, un nombre croissant de chercheurs mettent en doute leurs façons de faire.

C'est le cas notamment de Michael Edwards, un écrivain et militant ayant longtemps travaillé dans le milieu et qui s'inquiète aussi bien du manque de transparence de ces fondations que de l'impact de leurs actions sur le développement et la vie démocratique.

«La philanthropie, par définition, désigne l'utilisation d'argent privé dans l'intérêt public. Mais lorsqu'il n'y a aucune façon d'assurer l'imputabilité, ça ne marche pas», note-t-il en entrevue.

M. Edwards s'inquiète particulièrement du fait que plusieurs grandes fondations mises sur pied par des hommes d'affaires influents ou des entreprises prétendent obtenir des résultats accrus en s'inspirant des pratiques développées dans le secteur privé.

Ce «philanthrocapitalisme», qu'il a dénoncé dans un ouvrage remarqué, se traduit par une forte insistance sur les résultats à court terme au détriment d'actions à long terme visant à transformer les institutions qui contribuent à la pauvreté et à l'inégalité.

Les efforts faits par la fondation Gates pour mettre au point des vaccins ne changent rien, illustre-t-il, à l'état des systèmes de santé des pays ciblés.

La promotion de semences génétiquement modifiées en Afrique sans égard aux facteurs qui limitent la production, comme le droit de propriété des terres, est un autre exemple.

Peu d'impact

Gara Lamarche, un autre ancien gestionnaire du monde des fondations qui est aujourd'hui rattaché à l'Université de New York, est aussi d'avis que les acteurs du milieu de la philanthropie ignorent trop souvent l'importance de «transformations systémiques».

La majeure partie des fondations américaines, dit-il, se consacrent à des sujets «qui ne changent pratiquement rien aux enjeux titanesques que sont l'inégalité, la pauvreté, les droits de l'homme et la dégradation de l'environnement».

Michael Edwards aimerait bien que le gouvernement intervienne pour encadrer leurs actions, mais il ne s'attend pas à ce qu'un tel scénario se matérialise de sitôt.

D'abord, dit-il, parce que plusieurs personnes influentes au sein de l'administration américaine ont des liens avec les grandes fondations ou les acteurs économiques qui les soutiennent.

Les fondations elles-mêmes sont très peu susceptibles d'accepter d'être soumises à des contrôles plus sévères. «Ils combattront toute réforme avec férocité. Pour l'heure, ils n'ont qu'à divulguer un peu d'information financière en lien avec leurs activités et c'est à peu près tout», note M. Edwards.

Gara Lamarche note que les intervenants du monde de la philanthropie n'ont pas hésité à monter aux barricades lorsque le président américain Barack Obama a proposé de financer une partie de la réforme de la santé en revoyant les déductions fiscales accordées pour des dons de charité.

Ces déductions, selon M. Lamarche, constituent une forme de privatisation puisque des revenus qui pourraient être «démocratiquement» investis par l'État sont pris en charge par le secteur privé sans véritable reddition de comptes.

Une estimation avancée par le chercheur précise que le Trésor américain se voit ainsi privé annuellement d'une somme de 50 milliards de dollars.

M. Edwards souligne que le but des critiques n'est d'aucune manière d'en finir avec la philanthropie, mais bien de «garantir qu'elle s'exerce beaucoup plus dans l'intérêt public».