«On est en guerre, ici!»

C'est ainsi que Montez Moore, 23 ans, résume la situation à East Saint Louis, en Illinois, au coeur des États-Unis.

C'est l'une des villes les plus dangereuses du pays. Une maison sur cinq y est abandonnée. Partout, des hommes font le guet, au coin de la rue. Les transactions de drogue se font à découvert, en plein jour.

Si East Saint Louis était une ville florissante au début du XXe siècle, le déclin des chemins de fer a entraîné le départ de toutes les grandes industries. Les citoyens les plus aisés sont partis, et le crime s'est installé. Le taux d'homicides est 20 fois plus élevé à East Saint Louis que la moyenne du pays.

«Mon enfance, c'est le cauchemar américain», lance Montez.

Devant la maison mobile où il a grandi, il se raconte.

Le jeune adulte a accepté d'amener La Presse sur les traces de sa vie, dans les pires quartiers d'East Saint Louis.

Bébé, il est confié à sa grand-mère toxicomane, car son père est parti, et sa mère, atteinte de troubles mentaux, ne peut s'occuper de lui. À 12 ans, il comprend qu'il devra lui-même subvenir à ses besoins.

«J'ai vendu de la drogue, transporté des armes, j'ai volé. Je savais que ça ne durerait pas longtemps, que ça me mènerait en prison, au cimetière.»

La conversation est régulièrement interrompue. Des voitures s'arrêtent près de Montez et il fait des allers-retours vers ses cousins, qui vivent toujours dans le quartier. La tension est palpable, et au bout d'un moment, on entend un groupe crier, au loin.

Montez déclare qu'il faut partir. Immédiatement.

L'école de la dernière chance

Dans ce milieu difficile, Montez a gravi les échelons de la violence. «Je ne sais pas combien de fois on m'a tiré dessus, mais je n'ai jamais été blessé gravement», raconte-t-il.

Il a toutefois fait un an de prison, à l'âge de 18 ans, pour possession illégale d'arme à feu. C'est lorsqu'il est libéré qu'il fait une rencontre qui changera sa vie.

Montez se présente alors dans la pire école des États-Unis, du point de vue des statistiques: la Tomorrow's Builders Charter School, au coeur d'East Saint Louis. En moyenne, les élèves qui s'y trouvent, même s'ils ont de 16 à 24 ans, ont un niveau de lecture de 3e année primaire. Près de 60% d'entre eux sont considérés comme sans-abri. Aucun autre établissement ne veut d'eux.

Mais voilà, on y trouve un programme d'apprenti menuisier qui fait des miracles auprès des jeunes. Ils y acquièrent des notions de mathématiques et d'anglais en lien avec la construction. Au bout d'un moment, ils reçoivent un salaire, car ils s'impliquent dans la construction de maisons neuves dans leur propre quartier. Une pierre, deux coups: ils intègrent le milieu du travail et ils retapent leur ville.

C'est Vickie Forby qui mène ce programme. Dans son bureau, la directrice est constamment interrompue. Elle s'excuse: «Une de mes élèves a été battue par son copain. Je dois envoyer ma secrétaire la chercher, pour l'amener dans un centre d'aide», explique-t-elle.

Elle ajoute qu'elle doit régulièrement répondre à des appels de policiers. C'est elle que ses élèves appellent lorsqu'ils se font arrêter. Et sur son ordinateur, une dizaine de petits papiers. «On avance parfois de l'argent à certains élèves, quand c'est difficile pour eux, mais je demande un remboursement chaque semaine. Même si ça prend du temps! Vraiment, on est une famille, ici, et je considère mes élèves comme mes enfants», explique-t-elle.

PHOTO FRÉDÉRIC GUIRO, LA PRESSE

Montez Moore a gravi les échelons de la violence avant de suivre une formation d'apprenti menuisier dans la pire école des États-Unis.

«Une guerre dans notre propre cour»

Les statistiques de placement sont difficiles à tenir, car les élèves déménagent ou trouvent un emploi dans un autre secteur avant de revenir à la construction.

Cependant, Montez estime que ce programme et l'appui du personnel de l'école lui ont permis de se sortir du pétrin. Il occupe un emploi chez McDonald's et il loue un appartement de Belleville, ville plus calme au nord d'East Saint Louis.

«Ici, je peux m'entendre penser. Je n'ai pas à m'inquiéter du bruit des sirènes et des coups de feu», confie-t-il.

Dans ce calme, il noircit des cahiers. Il écrit des chansons et il rappe sa vie. Il voit l'avenir avec optimisme, mais dans ces textes, beaucoup de colère. Contre son pays.

«Il y a une guerre dans notre propre cour et personne ne s'y intéresse», s'enflamme-t-il.

«Comment ce pays peut-il s'intéresser autant aux autres et ne pas prendre soin de ses propres enfants? C'est incroyable... je n'ai pas la réponse à celle-là.»

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Une maison sur cinq est abandonnée à East Saint Louis.