Le juge en charge du premier procès pour «terrorisme» d'un ancien détenu de Guantanamo sur le sol américain a opposé un sérieux revers mercredi à l'administration américaine en excluant son témoin clé, sur fond de mauvais traitements dans les prisons secrètes de la CIA.

Le juge fédéral de New York Lewis Kaplan a accepté mercredi d'accéder à la demande du ministère public de retarder le début du procès au 12 octobre, le temps pour celui-ci de contester en appel l'exclusion de ce témoin.

Il s'agit du deuxième report en moins d'une semaine du procès d'Ahmed Ghailani, un Tanzanien de 36 ans, accusé d'avoir participé aux attentats contre des ambassades américaines qui avaient fait 224 morts en 1998 dans les capitales kenyane et tanzanienne.

M. Ghailani, qui est apparu mercredi dans la salle d'audience portant des vêtements de ville et sans menottes, est également accusé d'avoir rejoint ensuite Oussama ben Laden en Afghanistan et de lui avoir servi de garde du corps et de cuisinier.

Mercredi, le juge Kaplan a estimé que le tribunal fédéral ne pouvait entendre Hussein Abebe -- qui dit avoir vendu à l'accusé les explosifs ayant servi aux attentats -- parce que sa localisation et son interrogatoire par les autorités américaines sont «le résultat des déclarations faites sous la contrainte par Ghailani à la CIA», l'agence de renseignement américaine.

«C'est une grande victoire pour la constitution», a déclaré à la presse l'un des avocats de M. Ghailani, Peter Quijano.

Le Tanzanien a passé cinq ans enfermé sans procès, contre toutes les règles de droit américaines, et a subi des séances d'«interrogatoires poussés» impliquant de mauvais traitements, qualifiés de torture par ses avocats, lorsqu'il était détenu dans une prison secrète de la CIA entre 2004 et 2006.

Les questions posées par l'admissibilité des preuves ont déjà duré plus d'un an depuis son transfèrement de Guantanamo dans une prison fédérale américaine en juin 2009.

Après avoir refusé d'annuler le procès et de rejetter toutes les déclarations faites par M. Ghailani pendant sa détention, le juge Kaplan a cette fois opposé un revers à l'administration. «La cour n'a pas pris cette décision à la légère, elle connaît les dangers du monde dans lequel nous vivons, mais la constitution est le rocher sur lequel notre pays est fondé», a-t-il argumenté.

Mais il a ajouté que l'accusé restait «l'objet d'un procès et risque la prison à vie». «Son statut de combattant ennemi autorise probablement sa détention comme prisonnier de guerre jusqu'à la fin des hostilités entre les États-Unis et Al-Qaïda et les talibans, même s'il est acquitté».

L'administration Bush avait assuré que même acquittés pour actes de terrorisme, des détenus de Guantanamo pourraient continuer d'être emprisonnés en tant que prisonniers de guerre. La situation ne s'est jusqu'ici jamais présentée. L'administration Obama n'a jamais pris position sur cette question.

Mais elle a en revanche prévu de garder prisonniers sans procès 48 détenus de Guantanamo, au motif qu'ils sont des «combattants ennemis» contre lesquels il n'existe pas assez d'éléments à charge pour organiser un procès.

Le procès Ghailani constitue un test crucial pour l'administration Obama qui souhaite traduire certains suspects de terrorisme devant des tribunaux de droit commun et en renvoyer d'autres devant des tribunaux militaires d'exception.

Au coeur de ce procès se joue également l'avenir des cinq détenus de Guantanamo accusés d'avoir organisé les attentats du 11-Septembre. Après avoir annoncé il y a un an qu'elle les renvoyait devant un tribunal new yorkais, l'administration est en effet revenu sur cette idée, sous la pression notamment des républicains.