Vladimir Poutine est sorti le premier de la salle de négociations, tout sourire. Et a annoncé devant la presse un accord sur l'Ukraine.

Pour les centaines de journalistes et de diplomates réunis dans le Palais de l'Indépendance, un immense bâtiment d'architecture postsoviétique, c'est la fin du sommet de Minsk.

Retour sur la nuit la plus longue de la diplomatie en dix mois de crise ukrainienne :

Il est environ 20 h mercredi quand le président bélarusse Alexandre Loukachenko accueille son homologue ukrainien, Angela Merkel et François Hollande. Le maître du Kremlin, fidèle à sa réputation, est en retard.

Lorsque Petro Porochenko et Alexandre Loukachenko se serrent la main devant une nuée de photographes et de caméras, un journaliste russe crie à un président ukrainien de marbre : «Monsieur Porochenko, pourquoi votre armée bombarde-t-elle des civils?»

Les dirigeants sont censés apparaître pour une photo de groupe, mais les minutes passent. Toujours rien. Un petit homme trapu des services de sécurité bélarusses, costume gris et épaisses lunettes, dit à la presse de se préparer : «les dirigeants arrivent d'ici deux à trois minutes pour la photo». Les drapeaux sont rangés de gauche à droite : bélarusse, russe, allemand, français, ukrainien.

En fait, le programme du sommet de Minsk a volé en éclat. Vladimir Poutine s'entretient avec le président bélarusse. Et François Hollande, Angela Merkel et Petro Porochenko se sont isolés pour peaufiner leur stratégie.

Les quatre dirigeants se retrouvent ensuite dans un salon et conversent debout. Vladimir Poutine et Petro Porochenko ont une très furtive poignée de main. Le visage du chef de l'État ukrainien est fermé.

Porochenko s'éclipse

Avec ses trois lustres monumentaux de cristal et de métal doré, ses colonnes de marbre et ses fresques qui évoquent la vie champêtre au Bélarus, la salle des «plénières» en impose. Porochenko semble hésiter à rejoindre son siège. Hollande paraît le plus détendu des quatre. Poutine est déjà en grande conversation avec son chef de la diplomatie Sergueï Lavrov. Quant à Merkel, elle semble concentrée. Il est 22 heures.

Des dizaines de diplomates sont massés dans les couloirs. À travers la porte entrouverte apparaissent les silhouettes de Poutine et Porochenko. Les deux hommes sont debout. Le président ukrainien fait de grands gestes des mains.

Bientôt, le président ukrainien et plusieurs membres de sa délégation quittent la salle à la surprise générale. Le regard noir, Porochenko, qui a dormi à peine trois ou quatre heures la veille, monte à l'étage et s'enferme dans une pièce avec son équipe. Les négociations sont-elles rompues? Finalement, le président revient. Il était parti contacter sur une ligne sécurisée l'état-major de son armée.

Les négociations durent depuis trois heures quand les dirigeants font une pause. Direction les caméras pour la photo prévue en début de sommet. Et les pourparlers reprennent, à 4 ou à 3 quand François Hollande et Angela Merkel s'isolent avec Petro Porochenko, puis avec Vladimir Poutine.

Bâillements et disputes

C'est déjà jeudi. Et rien ne filtre. La fièvre s'empare régulièrement des journalistes qui se ruent vers la salle des négociations sans aucune raison malgré les assurances des conseillers ukrainiens ou français que les discussions se poursuivent.

«L'ambiance était plutôt optimiste au départ, mais ça traîne en longueur, Poutine ergote, comme d'habitude», confie une source diplomatique. «Le travail continue, mais c'est vraiment pas fini», ajoute une autre.

Dans les couloirs, des serveurs poussent des chariots chargés de vaisselle. Fumet de nourriture chaude. Ce sont les plateaux-repas des présidents et de la chancelière.

Autour de 4 heures du matin, quasiment tous les divans ou fauteuils du palais sont occupés par des dormeurs. Certains sont allongés à même le marbre. Le ministre bélarusse des Affaires étrangères Vladimir Makeï plaisante : il faudrait «des lits pliants et des pantoufles».

À 4 h 48, texto d'un membre de la délégation ukrainienne : «tous bâillent, mais continuent de se disputer».

Quand à 5 h 30, les gardes du corps apparaissent, branle-bas de combat chez les journalistes qui se jettent vers leurs caméras et tendent déjà leurs micros. En fait, c'est simplement Vladimir Poutine qui va aux toilettes, dit un de ses gardes du corps.

À 9 h 04, les services de presse des présidents parlent d'une cérémonie de signature. Mais nul ne sait qui va signer, ce qui sera signé et où.

Il est 10 h quand Petro Porochenko entre dans la pièce où il passe ses communications sécurisées. En sortant, il descend les escaliers tout en répondant aux questions d'une journaliste de l'AFP. «Pas encore de bonnes nouvelles», Vladimir Poutine pose des «conditions inacceptables», dit-il.

Des sources ukrainiennes et françaises indiquent que les rebelles refusent de signer l'accord. Ensuite, les choses s'accélèrent.

La représentante de l'OSCE aux discussions entre Ukrainiens et séparatistes, Heidi Tagliavini, arrive et rejoint les chefs d'État et la chancelière. La dernière ligne droite des négociations prend des allures de vaudeville politico-diplomatique : atmosphère survoltée, visages sombres, conciliabules.

Et Vladimir Poutine, plus rapide que ses homologues, sort de la pièce pour annoncer un accord.

Les principaux points de l'accord de paix

Voici les principaux points de l'accord entre les rebelles prorusses et les émissaires de Kiev, signé à Minsk où s'étaient retrouvés pour des négociations les présidents Vladimir Poutine, Petro Porochenko et François Hollande et la chancelière allemande Angela Merkel.

Ce document en 13 points reprend en grande partie ceux du «protocole» de cessez-le-feu signé le 5 septembre à Minsk, et développé par un mémorandum le 19 septembre, mais qui n'avaient pas abouti à une paix durable.

Le nouveau texte élargit cependant la zone tampon, d'où les armes lourdes doivent être retirées, et insiste sur un contrôle de la frontière par les forces de Kiev et sur une révision de la Constitution ukrainienne.

Cessez-le-feu 

Les parties au conflit s'engagent à un cessez-le-feu bilatéral à partir du 15 février à minuit heure de Kiev (samedi 17 h heure du Québec) dans les régions de Donetsk et de Lougansk.

Les accords de septembre prévoyaient également un cessez-le-feu, mais ils n'ont pas été respectés très longtemps.

Un nouveau cessez-le-feu, instauré le 9 décembre, est resté lettre morte.

Retrait des armes 

Le document prévoit le retrait de «toutes les armes lourdes par les deux parties» afin d'établir une zone tampon d'une profondeur de 50 kilomètres à 140 kilomètres en fonction du type d'armes lourdes.

Les précédents accords prévoyaient une zone de 30 kilomètres de largeur.

Pour mettre en place cette zone élargie, le document exige que l'armée ukrainienne retire ses pièces d' artillerie par rapport à la ligne de front actuelle, située plus à l'ouest par rapport à celle de septembre étant donné que les rebelles ont gagné du terrain depuis.

De leur côté, les rebelles doivent se retirer par rapport à la ligne de front de l'époque, celle de septembre.

Les territoires nouvellement conquis sont ainsi de facto intégrés à la zone tampon élargie.

Le retrait des armes lourdes doit débuter au maximum deux jours après l'entrée en vigueur du cessez-le-feu et s'achever au bout de 14 jours.

Le texte prévoit également «le retrait de tous les groupes armés étrangers, des équipements militaires et des mercenaires du territoire ukrainien, sous l'observation de l'OSCE» (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe).

Libération des «otages» 

La libération de «tous les prisonniers et des otages» retenus depuis le début du conflit en avril est prévue par le document.

Cette condition avait déjà été posée dans les précédents accords mais n'avait été qu'en partie remplie. Le dernier échange massif de centaines de prisonniers a eu lieu fin décembre.

Dialogue politique 

Comme les précédents accords, le nouveau document prévoit de promouvoir un dialogue pour l'organisation d'élections locales conformément à la législation ukrainienne et pour définir le futur statut des régions de Donetsk et de Lougansk.

Une amnistie doit également être décrétée pour les combattants impliqués dans le conflit.

Kiev avait déjà voté en septembre une loi sur le «statut spécial» des territoires aux mains des rebelles qui leur donnait davantage d'autonomie, garantissait le libre usage du russe et fixait au 7 décembre l'organisation d'élections locales.

Une autre loi prévoyait l'amnistie d'une partie des combattants séparatistes.

Les rebelles ont cependant rejeté cette offre et ont organisé le 2 novembre leurs propres élections présidentielle et législatives, condamnées par Kiev et les Occidentaux.

L'Ukraine a fini par annoncer l'annulation des deux lois et a coupé à la mi-novembre le financement budgétaire des territoires sous le contrôle des séparatistes. Les insurgés dénoncent dès lors un «blocus économique» imposé par Kiev.

Levée du blocus économique 

Le document précise que «des modalités» en vue de renouer les liens économiques et sociaux, dont le paiement des retraites, entre les zones contrôlées par les forces ukrainiennes et celles rebelles, doivent être définies.

L'Ukraine doit rétablir le fonctionnement de son système bancaire dans les régions en conflit.

Contrôle de la frontière

Le contrôle de la frontière doit entièrement incomber aux forces de Kiev dans «toute la zone de conflit», après l'organisation d'élections locales.

Nouvelle Constitution 

Le texte prévoit la mise en place d'une nouvelle Constitution ukrainienne d'ici à fin 2015, prévoyant une «décentralisation» des régions de Donetsk et de Lougansk, en accord avec les représentants de ces zones.