Deux avions de chasse ukrainiens ont été abattus dans l'est du pays, hier. Kiev a évoqué la responsabilité de la Russie, qui se voit de nouveau montrée du doigt une semaine après l'attaque contre un avion civil de Malaysia Airlines. Malgré l'indignation suscitée par le drame, des experts doutent qu'il ait des conséquences importantes pour Vladimir Poutine.

L'ancienne secrétaire d'État américaine Madeleine Albright a dit cette semaine être «frappée» par la lenteur de la réaction de l'Europe contre la Russie après l'attaque mortelle contre le vol MH17.

Mme Albright n'est pas la seule à être étonnée: après le choc provoqué par la mort de 298 personnes dans l'écrasement de l'appareil de Malaysia Airlines dans l'est de l'Ukraine, jeudi dernier, les 28 membres de l'Union européenne ont semblé avoir 28 opinions différentes sur la façon de confronter Moscou, qui mène une guerre indirecte dans l'est de la Russie.

«Tout semble indiquer que l'Union européenne n'adoptera pas de sanctions directes sévères contre la Russie, explique Maria Popova, professeure associée de sciences politiques à l'Université McGill. Poutine nie toute implication dans l'attaque du vol MH17, une position qu'il n'est pas impossible de défendre. Et cela va probablement fonctionner.»

Mardi, l'Union européenne a annoncé avoir conclu une entente pour renforcer les sanctions déjà imposées à la Russie, et a dit étudier la possibilité de cibler le secteur de l'armement. Des officiels des États-Unis, qui ont adopté la semaine dernière leurs propres sanctions contre la Russie, ont qualifié les sanctions européennes de «faibles». Moins de 24 heures plus tard, deux avions de chasse ukrainiens ont été abattus dans l'est du pays, possiblement par des missiles tirés depuis la Russie, selon l'armée ukrainienne.

En octobre, la France doit livrer un vaisseau de guerre Mistral à la Russie, une transaction qui est vue sous un jour nouveau à la lumière des efforts de déstabilisation de Moscou en Ukraine. Cette semaine, le président François Hollande a dit que le navire serait livré, mais que la livraison d'un second vaisseau Mistral, prévue en 2016, dépendrait de «l'attitude de Moscou». Des menaces qui pourraient bien être vides: hier, l'agence Bloomberg a affirmé que le second navire de 22 000 tonnes, dont la livraison est prévue en 2016, est déjà construit à 75%.

Mme Popova note que la frilosité des membres de l'Union européenne sur l'imposition de sanctions sévères contre la Russie va au-delà des considérations économiques.

«L'économie et l'énergie sont importantes, mais ce n'est pas tout. Je crois qu'il y a un véritable débat en Europe sur le niveau de blâme qu'il faut imputer à la Russie. Tous les pays ne sont pas du même avis, donc ce n'est pas simple d'arriver à une politique commune», dit-elle. Elle ajoute que l'Ukraine n'est pas accueillie à bras ouverts par les membres de l'Union européenne, plusieurs n'étant pas exaltés à l'idée d'un partenariat plus étroit avec le pays en proie au chaos. Mardi, les membres du Parlement ukrainien en sont venus aux coups lors d'une session houleuse où il était question du vol MH17.

Pour Philip J. Crowley, chercheur à l'Institut de diplomatie publique de l'Université George Washington, il est trop tôt pour dire si la tragédie aura des conséquences sur les rapports entre la Russie et le reste du monde.

«On voudrait de grands remèdes en temps réel, mais ce n'est pas comme ça que le monde fonctionne, explique-t-il. Nous devons prendre du temps pour mieux comprendre ce qui s'est passé, comprendre les motifs des acteurs sur le terrain. Qui fait quoi? Pour l'heure, l'attaque contre l'avion semble avoir été le fruit d'une erreur.»

Une chose est certaine: le soutien de Moscou aux séparatistes prorusses dans l'est de l'Ukraine ne peut continuer, selon lui.

«Poutine a lancé une politique nationale ayant pour but de déstabiliser l'est de l'Ukraine, et le résultat est une tragédie internationale majeure. S'il ne modifie pas sa stratégie, la relation entre la Russie et le reste du monde doit changer, tant que Poutine restera au pouvoir.»

Poutine, le héros

Poutine reste extrêmement populaire en Russie, et la tragédie du vol MH17 ne semble pas y changer grand-chose, note Maria Popova. «Les Russes sont massivement derrière Poutine. Sa popularité a même explosé lors de l'invasion de la Crimée, au printemps dernier», dit-elle.

Pour les Russes, Poutine n'est pas simplement un chef d'État, il est un héros, note M. Crowley. Sa vaste opération en Ukraine, officiellement destinée à protéger la population russophone de ce pays, est très populaire auprès des Russes.

À l'heure actuelle, l'Europe doit, au minimum, tout mettre en place afin de réduire sa dépendance à la Russie. «Si, dans 10 ans, des pays européens sont toujours dépendants du gaz naturel russe, alors ce sera un échec.»

Si Vladimir Poutine est déstabilisé par les événements des derniers jours et l'indignation internationale, il n'en laisse rien paraître. Au téléphone avec le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou, hier soir, Poutine a fait part de son inquiétude au sujet de la situation humanitaire de la population civile de Gaza et «appelé à l'imposition d'un cessez-le-feu» pour donner une chance à la diplomatie, a signalé le Kremlin.